La stimulation de l’intention verbale par le geste (fin)

    Cette dernière partie se veut plus brève et accessible, de manière à montrer les points les plus pertinents pour les thérapeutes côtoyant la population aphasique. S’ill est vrai que cette approche semble très attrayante, il paraît cependant essentiel de garder un regard critique envers les différentes interprétations des auteurs et de bien comprendre dans quelles mesures cette méthode pourrait être bénéfique pour nos patients. En effet, des limites peuvent déjà être mises en évidence. Notons par exemple le peu d’études portant sur le sujet ou encore certains points relatifs à la méthodologie empruntée, comme la répétition du matériel qui pourrait éventuellement constituer un biais quant à l’interprétation des résultats (du moins lorsqu’il n’y a pas de transfert aux items non travaillés).
De manière plus théorique, les substrats exécutifs pour l’élaboration d’un langage plus complexe (habiletés discursives et syntaxiques) pourraient être différents de ceux responsables de la récupération du mot. Cependant, Raymer et al. (2002) ont montré qu’un mouvement de la main gauche facilitait la production de phrases. Ou encore, notons le lien relevé entre l’aire de la main au sein du cortex moteur de l’hémisphère droit chez des patients aphasiques et l’activité de lecture (Meister et al., 2006). Il s’agit là d’autant de pistes qu’il serait intéressant d’explorer plus amplement.
Une autre observation plus personnelle, a priori non pertinente mais qu’il vaudrait la peine de contrôler, est d’ajouter une éventuelle limite dans la méthodologie des études présentées. En effet, il a été expliqué dans l’introduction théorique qu’une boucle constituée de la pré-SMA et d’autres structures encore est impliquée dans la sélection des représentations lexicales préexistantes lors de la génération de mots. Or les auteurs, sur base d’études antérieures, admettent que cette boucle ne s’active pas en cas de répétition de mots (Crosson, Benefield et al., 2003 ; Crosson, Sadek et al., 2001 ; Moore et al.). Toutefois, rappelons que les études exposées ci-dessus plaçaient les sujets en tâche de dénomination d’images. Le point important à signaler ici est que, lors d’une non réponse ou d’un délai trop long de réponse de la part des sujets, il leur a été demandé de répéter le mot cible fourni par le thérapeute et d’effectuer simultanément le mouvement. Ces consignes plaçaient donc les sujets en tâche de répétition, même si le mouvement complexe de la main gauche était produit. Par conséquent, peut-être que dans ce cas la répétition pouvait biaiser l’activation de la pré-SMA, alors qu’elle constitue une structure tout à fait centrale pour la modification de l’activité cérébrale relative au langage. Cette observation théorique pourrait éventuellement être prise en compte dans de futures études. Notons cependant qu’il semble difficile d’imaginer un autre moyen sur lequel appuyer la production du mot cible pour certains patients, lorsque la tâche de dénomination d’images échoue. Pour certains d’entre eux, peut-être que les capacités de lecture préservées pourraient être exploitées.
Finalement, comme dans toute rééducation logopédique, le thérapeute doit déterminer les objectifs thérapeutiques et voir si ceux-ci concordent avec ceux qui sont envisagés dans les différentes études exposées tout au long de ce travail. Pour ce faire, il serait intéressant de se fixer des étapes, de se donner les moyens pour évaluer régulièrement l’évolution du patient et de construire des lignes de base. En effet, pour obtenir des effets significatifs, il paraît essentiel d’adopter une méthodologie pointilleuse. Evidemment, ce travail ne pourra se réaliser sans une réelle motivation de la part du thérapeute comme du patient. De plus, le thérapeute devra veiller à ce que le patient en question possède bien le profil mis en évidence à travers les recherches (mais voir plus loin), de façon à ce que la rééducation puisse être pertinente. De ce fait, on observera avec précision la localisation des lésions. Comme indiqué ci-dessus, les régions fronto-temporales gauches, les noyaux gris centraux gauches … sont-ils atteints ? Ou encore, est ce que les connaissances lexico-sémantiques de l’hémisphère dominant sont préservées ? Notons que celles-ci se manifestent par les scores en compréhension auditivo-verbale (Cato et al., 2004). Plus précisément, il s’agit ici des structures pariétales inférieures gauches et du gyrus temporal supérieur gauche. Plus globalement, le thérapeute va aussi s’intéresser à la sévérité de l’aphasie du patient. Est-ce que la répétition est possible ? Ou encore, l’exécution du mouvement de la main gauche ? Selon tous ces paramètres, le professionnel pourrait également personnaliser les items de la rééducation dans le but de les faire concorder avec les besoins quotidiens du patient. Ceci dans l’hypothèse d’une l’amélioration des performances pour les items entraînés mais pas des items non entraînés chez certains patients.
Pour achever ce travail, d’autres pistes supplémentaires peuvent être ajoutées de manière à mieux comprendre le phénomène étudié. Par exemple, quel est le rôle de la plasticité cérébrale ou de l’âge du patient si l’on entreprend une telle rééducation ? Quel serait l’impact d’un déficit des fonctions exécutives et/ou attentionnelles ? En effet, cette rééducation met en jeu une production orale déjà difficile pour cette population, mais également la réalisation d’un geste complexe. Ces consignes peuvent-elles avoir un effet négatif en mobilisant trop de ressources attentionnelles ou exécutives ? Voilà autant de questions qui mériteraient la mise en place de futures recherches, notamment pour asseoir la première partie théorique de ce travail mais aussi les interprétations post-rééducation que les trois études exposées ont apportées.
Enfin, la population à laquelle ce genre de rééducation est destinée n’est pas nécessairement claire. Les auteurs parlent d’aphasies non fluentes chroniques avec de bonnes capacités de compréhension lexicale et de répétition (si je comprends bien, il s’agit essentiellement d’aphasiques dont le diagnostic serait, à ce stade, celui d’une aphasie transcorticale motrice (dynamique) ou, du moins, dont l’hypothèse explicative de la non fluence serait, pour une part non négligeable, celle d’un trouble de l’initiation). Qu’en est-il dès lors de l’intérêt de la technique avec des personnes dont l’aphasie non fluente est plus récente, qui ne peuvent répéter et/ou dont le système sémantique est altéré ?
A nous d’essayer, me direz-vous !!! Et, en dehors de tout esprit de recherche, pourquoi ne pas adopter une stratégie qui combine la manipulation de l’intention avec celle de l’attention spatiale ?

Tout ceci reste largement ouvert à discussions …

.    Références

Les 3 articles principaux :

–    Role of the Right and Left Hemispheres in Recovery of Function during Treatment of Intention in Aphasia, Crosson, B., Bacon Moore, A., Gopinath, K., White, K., D., Wierenga, C., E., Gaiefsky, M., E., Fabrizio, K., S., Peck, K., K., Soltysik, D., Milsted, C., Briggs, R., W., Conway, T., W. and Gonzalez Rothi, L., J. (2005). Journal of Cognitive Neuroscience, 17:3, pp. 392-406.
–    Treatment of naming in nonfluent aphasia through manipulation of intention and attention : A phase 1 comparison of two novel treatments, Crosson, B., Fabrizio, K., S., Singletary, F., Cato, M., A., Wierenga, C., E., Parkinson, R., B., Sherod, M. E., Moore, A., B., Ciampitti, M., Holiway, B., Leon, S., Rodriguez, A., Kendall, D., L., Levy, I., F. & Gonzalez Rothi, L., J. (2007). Journal of the International Neuropsychological Society, Vol. 13, p. 582-594.
–    Activation of intentional mechanisms through utilization of nonsymbolic movements in aphasia rehabilitation, Richards, K., Singletary, F., Gonzalez Rothi, L.J., Koehler, S. & Crosson, B. (July/August 2002). Journal of Rehabilitation Research and Development, Vol. 39, No. 4, p. 445-454.

Autres références :

–    Functional connectivity between cortical hand motor and language areas during recovery from aphasia, Meister, I., G., Sparing, R., Foltys, H., Gebert, D., Huber, W., Töpper, R. & Boroojerdi, B. (2006). Journal of the Neurological Sciences, 247, pp. 165-168.
–    Nonsymbolic movement training to improve sentence generation in transcortical motor aphasia : A case study, Raymer, A., M., Rowland, L., Haley, M. & Crosson, B. (2002). Aphasiology, 16 (4/5/6), pp. 493-506.
–    The utility of arm and hand gestures in the treatment of aphasia, Rose, M., L. (June 2006). Advances in Speech-Language Pathology, 8(2), pp. 92-109.
–    The comparative effectiveness of gesture and verbal treatments for a specific phonologic naming impairment, Rose, M., Douglas, J. & Matyas, T. (2002). Aphasiology, 16 (10/11), 1001-1030.

Encore une fois, j’adresse un tout grand merci à Caroline Lebleu que j’ai eu beaucoup de plaisir à avoir comme stagiaire cette année.
Bill


Savez-vous qui gouverne les Français ? Voici quelques membres de l’Assemblée Nationale. C’est véridique…..
M. SEGUIN
M. LEGROS
M. BRANLEY
M. CAREL
Mme SEGOLENE ROYAL
M. SAUTER
M. PAPU
M. GENET
Mme MADY
M. JOSPIN

Si vous ne voyez pas ce que ceci peut avoir de rigolo, allez à la source : ici.

5 réflexions sur “La stimulation de l’intention verbale par le geste (fin)”

  1. Hello Bill, je reviens un peu sur ce magnifique travail d’analyse critique.
    De façon tout a fait empirique, il y a 15 ans, j’avais essayé une méthode de démutisation qui utilisait entre autre le geste de la main contro-latérale pour démutiser certains aphasiques.
    Avec dans certains cas des résultats qui étaient très spectaculaires. Bien entendu je n’avais pas d’explication théorique à cela. ce travail éclaire un peu plus ma lanterne, mais
    malheureusement je n’ai plus eu l’occasion de faire ce genre de travail.
    Plus récemment,  j’ai essayé  cette utilisation du geste avec un patient qui présente une dysarthrie cérébelleuse sévère (pas d’aphasie) et ancienne suite à un polytraumatisme. Je
    n’ai pas d’infos précises quant à la localisation  des lésions (pratique libérale de campagne, snif), en plus les lésions sont anciennes (10 ans). Le symptôme majeur dans sa dysarthrie est un
    blocage en début d’émission (défaut d’activation motrice plutôt que du maintien). J’ai comparé sa perfomance en  répétition de mots (mono di et tri syllabiques) avec ou sans la production du
    geste. Sa performance s’améliore de plus de 50% dans la condition « geste » si et uniquement si l’émission du geste précède l’émission du mot. Si elle est concomittante ou s’il a commencé à ébaucher
    le premier mouvement articulatoire (visible) alors le blocage réapparaît et il doit s’y prendre à deux ou trois reprises avent d’émettre le mot en entier. Je ne sais pas encore jusqu’ou on pourra
    aller pour améliorer ses productions (phrases, estompage progressif du geste). De plus il lui est très difficile su rle plan attentionnel de contrôler ces deux productions l’une après l’autre
    (syndrome dys-exécutif?). Mais bon j’essaie on verra bien…50% d’amélioration, ce n’est probablement pas suffisant pour expliquer un effet facilitateur.

    • Bonjour Bill et merci pour ces explications très intéressantes!!!! Je m’intéresse aux difficultés d’initiation notamment dans le cas de patients pouvant produire des mots en dénomination lors de séances de rééducation mais qui n’arrivent pas à initier les échanges verbaux et à utiliser les mots acquis en séance dans le quotidien. Cela est-il lié aux études dont vous nous faites part? Connaissez vous d’autres sources qui traitent plus de l’initiation verbale en spontané ?

      Je vous remercie beaucoup

      Manon

      • N’étant plus en activité, je reconnais ne pas suivre la littérature. Mais j’espère ne pas être seul et que d’autres pourront vous répondre.

Répondre à Manon Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.