Buffer phonologique 2

Les études dont on vient de parler ne permettent pas vraiment de distinguer le BPS et le BPE. Tous les patients décrits ont en effet un empan de chiffres très limité. Certains auteurs (e.a. Bisiacchi et al., 1989) ont d’ailleurs proposé d’intégrer le BPS au sein même de la mémoire auditivo-verbale à court terme.

Romani (1992) apporte des arguments convaincants de l’existence de ces deux buffers. Elle décrit en effet un patient, GC, sans troubles articulatoires et sans problèmes de discrimination phonologique, qui présente un déficit du BPS sans atteinte du BPE. Comme IGR, il produit occasionnellement des paraphasies phonémiques et son langage est hésitant.

 

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Figure 2. Architecture schématique du système de langage (Romani, 1992)

GC est en difficulté dans les tâches de production : répétition de phrases, de listes de mots ou de chiffres, lecture, écriture et répétition de logatomes (respectivement 10, 21 et 16 % d’erreurs, empan très réduit) et, en dehors du fait que l’effet de longueur n’apparaît pas en écriture, tous les critères avancés par Caramazza et al. (1986) sont respectés. Il ne commet que 1, 3 et 2 % d’erreurs pour les mots dans les mêmes tâches. Il n’a cependant aucune difficulté dans les tâches mnésiques qui ne nécessitent que la reconnaissance de mots ou de non-mots, ce qui permet d’exclure un déficit du BPE (mémoire auditivo-verbale à court terme). De plus, il ne présente aucun trouble de la compréhension des phrases, même si celles-ci sont complexes et réversibles.
Lorsque deux phrases sont énoncées par l’expérimentateur à la suite l’une de l’autre, il a cependant du mal à reconnaître les différences si celles-ci portent sur le temps du verbe ou si la seconde est une paraphrase de la première (ex : le garçon qui a des lunettes embrasse la fille, le garçon avec des lunettes embrasse la fille). Lorsque la décision ne peut être basée sur le sens, il a donc des difficultés. Romani en conclut que les informations phonologiques dans le BPE ne sont pas correctement réalimentées du fait du déficit au niveau du BPS : le processus de récapitulation dite « articulatoire » (en réalité, la réintroduction des informations de nature phonologique dans le stock phonologique d’entrée) ne peut être correctement réalisé (comme c’est le cas chez les sujets normaux auxquels on impose de répéter en continu, durant la tâche mnésique, une syllabe quelconque : condition de suppression articulatoire).

L’analyse que font Shallice et al. (2000) de leur patient, LT, les conduit à des conclusions semblables. Comme tous les patients décrits auparavant, LT souffre d’un déficit du BPS. Cependant, son empan de chiffres (mais pas de mots) est tout à fait normal et, dans les tâches de reconnaissance, ses performances sont bonnes. Les auteurs en concluent que, les chiffres étant des items de très haute fréquence, ils peuvent en général être « récapitulés » par un BPS altéré. Shallice et al. défendent donc l’idée selon laquelle le seul rôle du BPS dans les tâches d’empan est d’agir comme un conduit de récapitulation des mots en série.

LT se différencie cependant des autres cas décrits en ce sens que, s’il commet effectivement plus d’erreurs avec les logatomes qu’avec les mots, ses performances sont loin d’être bonnes avec ces derniers. Et les effets de longueur et le pattern d’erreurs, typique d’un trouble du BPS, se retrouve pour les logatomes mais aussi pour les mots, et cela dans les tâches de lecture, de répétition, d’écriture ET en dénomination. Reconsidérant l’ensemble des cas décrits jusque là à la lumière de ce qu’ils observent chez LT, Shallice et al. estiment que tous sont des aphasiques de conduction de type « reproduction », c’est-à-dire qu’ils souffrent d’un déficit des capacités du BPS. LT est simplement à une extrémité sur une échelle de gravité et les autres, moins gravement atteints, sont à l’autre extrémité de l’échelle. On voit que, dans cette hypothèse, il n’est évidemment pas besoin de postuler l’existence d’une voie qui permettrait aux mots de contourner le BPS : les mêmes mécanismes sont utilisés pour les logatomes et les mots au niveau du BPS mais les ressources nécessaires ne sont pas quantitativement les mêmes pour les deux types de stimuli.

Shallice et al. réaffirment donc qu’il y a deux types d’aphasiques de conduction :
– Ceux qui ont un problème du BPS sont du type « reproduction ». Ces aphasiques éprouvent des difficultés à répéter, à écrire et à lire des mots isolés. Ces difficultés sont d’autant plus importantes que les mots sont longs et peu fréquents. Les erreurs de nature phonologique peuvent être des substitutions, des omissions, des insertions, des déplacements ou des transpositions de phonèmes. Ces patients sont fluents mais commettent des erreurs similaires en langage spontané et en dénomination. Enfin, les erreurs sont encore plus abondantes lorsque des logatomes doivent être répétés, écrits ou lus.
– D’autres ont un problème au niveau du BPE et sont du type « répétition ». Leurs difficultés de répétition sont attribuées à un empan réduit puisqu’elles ne concernent que des suites de mots. Seuls ces derniers présentent des troubles de la compréhension syntaxique.

Bibliographie

Bisiacchi, P., Cipolotti, L., & Denes, G. (1989). Impairement in processing meaningless verbal material in several modalities: The relationship between short memory and phonological skills. The Quartely Journal of experimental Psychology, 41A, 293-319.

Bub D., Black S., Howell J., & Kertesz, A. (1987). Speech output processes and reading. In M. Colheart, S. Sartori, & R. Job (Eds.). The cognitive neuropsychology of language. London: Lawrence Erlbaum Associates Ltd.

Caramazza A., Miceli, G., & Villa, G. (1986). The role of the (output) phonological buffer in reading, writing and repetition. Cognitive Neuropsychology, 3, 37-76.

Romani, C. (1992). Are there distinct input and output buffers? Evidence from an aphasic patient with an impaired output buffer. Language and cognitive processes, 7, 131-162.

Shallice, T., Rumiati, R.I., & Zadini, A. (2000). The selective impairment of the phonological output buffer. Cognitive Neuropsychology, 17, 517-546.

 

2 réflexions sur “Buffer phonologique 2”

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  2. merci beaucoup !

    fort intéressant et agréable d’en apprendre toujours un peu plus, de se rafraîchir la mémoire, et de lire en français pour y voir plus clair !

    merci pour le partage !

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