SOMMAIRE du TRAVAIL SUITE Message 8
3. Comment se passe la récupération des différentes langues?
3.1. Introduction
De manière générale dans la littérature, différents patterns de récupération ont été décrits à partir de l’observation des patients. Ce phénomène de récupération n’est en fait pas encore très bien compris et différents facteurs sont considérés comme influençant l’ordre ou l’importance de la récupération des différentes langues. Cependant, plusieurs théories ont vu le jour pour tenter de trouver une explication à ce phénomène.
3.2. Les différents patterns de récupération
Paradis (1989) relève 9 patterns différents de récupération :
– Parallèle : quand les deux ou plusieurs langues présentent un déficit similaire et qu’elles se restaurent à la même vitesse.
– différentiel : quand le déficit est d’un degré différent dans chaque langue par rapport à la maîtrise prémorbide.
– successif : quand une langue ne réapparaît que lorsqu’une autre a déjà été récupérée de manière maximale.
– Antagoniste : quand une langue régresse au fur et à mesure que les autres progressent. Gollan et Kroll (2001) suggèrent que, dans ce pattern, les représentations des langues sont relativement intactes, mais que la lésion doit se situer au niveau d’un mécanisme qui contrôle l’accès aux représentations de chaque langue. Cette explication convient aussi pour expliquer la situation des deux patterns suivants.
– Sélectif : quand le patient ne peut récupérer l’usage de l’une ou de plusieurs de ses langues.
– Mélangé : quand le patient mélange de manière systématique et inappropriée les caractéristiques des différents langues et cela à n’importe quel niveau ou à tous les niveaux de la structure linguistique (ex. : phonologie, morphologie, syntaxe, lexique, sémantique). Ces mélanges se font sans respect des règles pragmatiques et sociolinguistiques de communication (Rossi et al, 2003). Ces chercheurs parlent de « mixing » lorsque le mélange se produit dans la même phrase, et de « switching » lorsque le mélange se produit au cours de phrases différentes. Pour Perecman (1984), le mélange entre les langues est un phénomène normal aussi bien pour les bilingues aphasiques que non aphasiques s’ils se produisent au niveau lexical. Par contre, la situation devient anormale lorsque les mélanges se produisent à d’autres niveaux. Perecman attire aussi l’attention sur un type particulier, assez inhabituel, de mélange, à savoir les traductions spontanées. Dans ce cas, le patient traduit spontanément soit une de ses propres productions soit celle d’une autre personne dans une deuxième langue. Les segments traduits peuvent concerner des mots ou une phrase entière. Elle note aussi, en parlant du patient H.B., que ces traductions spontanées peuvent se produire alors que le patient est incapable de réaliser cette tâche lorsqu’on lui en fait la demande.
– Antagonisme alterné : C’est une variante de la récupération antagoniste. Pendant des périodes alternées, le patient a seulement accès à une de ses langues. Le premier cas d’antagonisme alterné a été décrit pas Paradis, Goldblum et Abidi (1982). Le patient peut seulement parler une seule langue, et la langue disponible change lors de périodes consécutives.
– Aphasie différentielle : Le patient présente des déficits différents d’une langue à l’autre, à tel point que l’on pourrait parler de sous-types d’aphasie différents pour ses différentes langues.
– Aphasie sélective : ce pattern renvoie à un déficit important dans une des langues alors qu’il n’y a pas de déficits dans la ou les autre(s) langue(s).
En ce qui concerne l’aphasie de Madame HH., elle semble plutôt relever du type parallèle. Cependant, ses capacités prémorbides exactes n’étant pas très bien connues, il est difficile de dire si la perte causée par la lésion n’est pas un peu plus forte dans une langue que dans l’autre.
On peut aussi relever que cette patiente commet des mélanges entre les deux langues. Cependant, d’après ce qu’elle dit, et c’est en fait extrêmement probable, elle a toujours un peu mélangé les d
eux langues. C’est une patiente qui parle beaucoup, ce qui fait que lorsqu’elle est dans une tâche de dénomination, et qu’elle ne trouve pas le mot dans la langue demandée, elle va essayer de le trouver dans l’autre langue, elle va décrire à quoi sert l’objet en question, où on le trouve… ce qui constitue autant d’amorces pour activer l’entrée lexicale dans l’autre langue. Ceci a pour effet que lorsqu’elle connaît un mot dans une langue, il est rare qu’elle ne le trouve pas dans l’autre langue. Les mélanges de la patiente sont donc plutôt une stratégie pour résoudre le manque du mot et sont donc plutôt appropriés. De plus, ces mélanges se réalisent uniquement au niveau de mots isolés. Etant donné tout ceci, il est donc peu probable qu’elle relève du pattern « mélangé ». Rossi et al. (2003) observent aussi cette stratégie chez leur patiente (D.M.) pendant son testing. Cependant, ces chercheurs considèrent que leur patientes produisait quand même des mixing pathologiques lors du discours spontané. Ils expliquent cette différence en disant que le contexte d’un test standardisé est différent de celui d’une conversation normale et que cette dernière peut mettre plus facilement en évidence un mixing pathologique. En ce qui concerne madame HH., celle-ci ne produisait pas non plus de mixing en spontané.
Paradis (1989) précise aussi qu’un pattern de récupération peut succéder à un autre ou même que deux patterns de récupération différents peuvent se dérouler en même temps à condition qu’il y ait plus de deux langues en jeu. Par exemple, une première et deuxième langue peuvent être récupérées de manière parallèle alors que dans le même temps, une troisième langue peut régresser.
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