Aphasie transcorticale motrice ou dynamique 2

Historique 

 

Lichteim (1885) donne le nom d’aphasie « commissurale » à ce que Wernicke appellera aphasie transcorticale motrice (ATM), un trouble du langage caractérisé par des productions verbales propositionnelles spontanées très réduites, avec une préservation relative de la dénomination, de l’articulation, de la prosodie et de la répétition (notons cependant que la répétition sélective peut devenir impossible à cause de phénomènes d’écholalie). Contrairement à un aphasique de Broca, la non fluence ne peut être attribuée, dans ces cas, uniquement à des troubles phonético-articulatoires. Elle ne peut non plus être attribuée à un simple manque du mot.

Goldstein (1915) discernera une forme pure et un type d’ATM où la répétition est également préservée mais où l’expression verbale spontanée est « effortfull » et parsemée d’erreurs phonémiques.

Kleist (1934) mettra en avant l’adynamie ou l’aspontanéité de la parole qui peut aller jusqu’au mutisme. Pour lui, il s’agit d’un trouble spécifique du langage et non d’un trouble cognitif plus général qu’il nomme aspontanéité de la pensée.

Dans les années 70, Luria donne le nom d’aphasie dynamique à une forme « pure » d’ATM.

Le terme « adynamie » fait ici (associé au terme « aphasie ») référence à un déficit d’initiation et d’élaboration du langage.
Le déficit pourrait cependant n’être qu’une manifestation d’un trouble cognitif plus global puisque certains patients n’utilisent pas le langage à des fins de communication (exemple du phénomène d’écholalie) et que les difficultés d’initiation peuvent s’étendre à des activités cognitives diverses.

Notons, avant de poursuivre cet historique, que la question de la spécificité langagière du déficit de fluence est aujourd’hui étudiée au cas par cas.
Pour certains patients (par exemple CO, décrit en 1997 par Gold et al. et cité par Warren et al. en 2003), les troubles de catégorisation sémantique et les difficultés majeures à décrire des procédures familières (ex : préparer le café) sont considérées comme résultant d’un déficit non spécifique au langage qui empêche de générer des concepts et des stratégies sémantiques diverses. Cette difficulté générale serait alors à l’origine de la non fluence enregistrée en langage spontané.
Burgess et Shallice (1996, cités par Robinson et al., 1998) ont aussi suggéré que les déficits des aphasiques dynamiques seraient liés au syndrome frontal qui les empêche de générer ou d’utiliser des stratégies appropriées. Les lobes frontaux sont en effet considérés comme les « chefs d’orchestre » de la cognition, c’est-à-dire de la capacité à initier, moduler ou inhiber des activités cérébrales.

Des interprétations de ce genre paraissent tellement larges qu’elles sont infalsifiables en l’état actuel des connaissances. Les questions et les procédures utilisées pour y répondre devraient sans doute aujourd’hui se limiter au fait de savoir :
– si le déficit d’initiation et d’élaboration verbales peut être spécifiquement observé dans des tâches verbales ou s’il est nécessairement englobé dans un trouble plus général,
– s’il est de nature pré-linguistique ou linguistique et,
– dans ce cas, s’il concerne l’activation des unités lexicales ou les procédures d’élaboration syntaxique.

Depuis Luria, il semble que l’on conserve le terme ATM pour parler des formes moins pures où l’aspect non fluent peut, par exemple, être attribué à un agrammatisme et à un manque du mot.

Selon Luria, l’aphasie dynamique pure est clairement un trouble du langage propositionnel. Celui-ci serait initié par un « plan » ou une intention. En termes plus modernes, on parlerait sans doute du « niveau d’élaboration du message », lequel ne constitue pas un niveau de planification « linguistique » mais est celui auquel le contenu, les significations que le locuteur désire transmettre sont représentées et qui dirige, en temps réel, le processus de mise en forme linguistique. Il s’agit donc d’une étape initiale de préparation conceptuelle qui mène à l’élaboration d’un message pré-verbal, une structure sémantique étendue requérant le recouvrement et l’intégration de divers concepts pré-linguistiques.

Dans les termes de Luria, ce plan ou message pré-verbal serait alors transformé en un schéma linéaire de l’énoncé à produire (ce schéma permettrait d’assembler les mots correspondants aux concepts pré- linguistiques dans leurs relations grammaticales et serait alors utilisé afin de générer un programme phonologique de l’énoncé) en passant par une étape transitionnelle de « parole intérieure » et c’est là qu’il situe le trouble fonctionnel des aphasiques dynamiques.

Pour autant que l’on puisse extrapoler, ce niveau correspondrait à ce que l’on nomme aujourd’hui sous le terme générique des mécanismes de planification syntaxique. Selon cette hypothèse, les aphasiques dynamiques devraient être mis en échec dans toutes les tâches qui requièrent la génération d’une phrase et on devrait observer des erreurs structurales (au moins quant à l’ordre des mots) au sein des énoncés.

Cette façon de voir les choses semble être à la base d’un débat entre différents auteurs : en cas de difficultés syntaxiques, on a tendance à admettre l’hypothèse de Luria et, en cas d’absence de celles-ci, on a tendance à rejeter l’hypothèse et à attribuer le déficit de fluence à un trouble pré-linguistique d’élaboration du message que, faute de mieux, Costello et Warrington (1989) ont appelé la « planification verbale » (peut-être, par souci de clarté, aurait-il mieux valu parler de planification pré-verbale).
D’autres, comme nous le verrons également, ont défendu l’hypothèse d’un trouble lexical ou, plus exactement, d’un déficit des procédures qui contrôleraient cet accès lexical.

Cependant, l’extrapolation des thèses de Luria n’est peut être que partiellement valide. En effet, comme nous le verrons, certains auteurs, tout en admettant l’interprétation de Luria, parlent (voir plus loin, Esmonde et al.,1996) d’un déficit du monitoring des réponses verbales, lequel serait aussi responsable des troubles syntaxiques et pragmatiques observés chez certains patients.
D’autres, comme Snowden et al. (1996) interprètent, dans ce cadre, des erreurs d’organisation temporelle des informations. Si ces auteurs ne s’étaient pas accrochés à l’interprétation de Luria, sans doute n’auraient-ils pas nécessairement situé le déficit fonctionnel des aphasiques dynamiques au niveau des procédures linguistiques au sens strict.

Cette position peut d’ailleurs paraître ambiguë, ou au moins refléter le manque d’élaboration du modèle proposé par Luria, pour une autre raison. En effet, ce dernier ne considérait pas les troubles de la syntaxe comme au centre de l’aphasie dynamique.
Notons cependant que plusieurs des patients qu’il décrit ont effectivement des difficultés grammaticales lors de la production d’énoncés.

Dans la suite, nous verrons comment ces idées ont été élaborées ou contestées par divers auteurs.

Avant de passer à ces études de cas, il est sans doute utile de préciser les lésions cérébrales qui peuvent engendrer l’ATM.
Les lésions responsables de ce tableau symptomatique sont situées dans la convexité inférieure gauche du lobe frontal gauche, en avant de la zone de Broca. Parfois, on peut repérer des lésions de l’aire motrice supplémentaire.
Au niveau vasculaire, la carotide est plus fréquemment impliquée que l’artère sylvienne. Cependant, ce syndrome se manifeste lors d’atteintes plus diffuses, voire bilatérales ou thalamiques.
Notons aussi que, à notre connaissance, les seules véritables propositions thérapeutiques spécifiques à l’aphasie dynamique sont de nature médicamenteuse ou comportementale. Ainsi, dans une revue récente de la littérature, Raymer (2003) ne cite qu’un article qui adresse directement cette question. Il s’agit d’un travail réalisé par Raymer et al. (2002) et qui consiste à demander au patient d’exécuter, durant les tentatives de productions verbales, des mouvements non symboliques complexes du membre supérieur gauche dans l’espace gauche. L’idée sous-jacente est de stimuler le cortex préfrontal droit. Le bien-fondé de cette approche attend confirmation.

Références :

Raymer, A.M. (2003). Treatment of adynamia in aphasia. Frontiers in Bioscience, 2003, 8, 847-851.

Raymer, A.M., Rowland, L., Haley, M., & Crosson, B. (2002). Nonsymbolic movement training to improve sentence generation in transcortical motor aphasia: a case study. Aphasiology, 16, 493-506.

 

Frontiers in Bioscience :
http://www.bioscience.org/

Aphasiology :
http://www.tandf.co.uk/journals/titles/02687038.asp

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