3.5. Quelle(s) langue(s) faut-il choisir pour la rééducation ?
Pour Paradis (1989), il faut d’abord réaliser un bilan dans les différentes langues avant de se prononcer. Ensuite, il est important de tenir compte de deux critères à savoir la langue de la communauté dans laquelle le patient va vivre à sa sortie et du niveau d’altération respectif de chacune de ses langues. Pour lui, la réalisation d’une thérapie dans une langue peut parfois influencer la récupération dans une autre langue, mais il ne sait pas quelle en est la cause. C’est aussi ce qu’observent Voinescu et al.(1977) lors de la rééducation de C.A., puisque la rééducation réalisée dans une seule de ses langues a eu pour conséquence des progrès dans ses autres langues.
Pour Wald (1959)[1], il vaut mieux réaliser la rééducation dans une seule langue, car si on la réalise dans plusieurs langues à la fois, cela va en fait gêner la récupération.
Pour Paradis (1999), les effets de la thérapie se feront sentir dans tous les paramètres communs à deux langues mais pas dans les aspects de la langue dont les paramètres diffèrent. Il suggère par exemple que suite à un travail au niveau sémantique dans une langue, on observera plus facilement un transfert dans l’autre langue puisque le degré de similitude entre les langues est plus important à ce niveau par rapport au niveau phonologique par exemple. Paradis s’attend aussi à une interaction entre la distance du point de vue de la structure qui existe entre les langues et le type d’aphasie. C’est-à-dire qu’au plus les deux langues d’un bilingue ont des structures similaires, au plus elles devraient présenter le même type d’aphasie, alors que des langues de structures éloignées présenteraient plus facilement des aphasies de type différent.
Il signale aussi que l’échec d’une rééducation dans une langue ne signifie pas forcément qu’une rééducation dans la seconde langue du patient sera elle aussi un échec.
Pour Galvez et Hinckley (2003), le choix du type de traitement ainsi que son résultat vont être influencés par les processus d’apprentissage et de mémoire ainsi que par les liens théoriques entre les deux langues. Pour soutenir ceci, il cite comme exemple que la mémoire impliquée lors de l’apprentissage d’une langue première ne serait pas la même que celle impliquée dans l’apprentissage d’une langue seconde. Dans le premier cas, l’apprentissage semble dépendre de la mémoire implicite alors que dans le second, il semble dépendre de la mémoire explicite.
Leur patient (R.P.) qui était atteint d’une aphasie transcorticale motrice n’a pas montré de transfert des résultats obtenus suite à une thérapie en L2. Il n’a pas montré non plus un transfert des résultats obtenus en L2 vers L1.
Dans le cas d’un patient avec la même histoire de bilinguisme que Madame HH., il est peu probable qu’un transfert s’effectue des résultats positifs obtenus lors d’une rééducation en français vers les capacités en néerlandais. En effet, il n’aurait pas acquis ces langues dans le même contexte ni au même âge et ces langues présentent des structures différentes.
Cependant, il est possible qu’une rééducation au niveau du système sémantique en français ait pour conséquence une réduction des erreurs d’origine sémantique aussi bien en néerlandais qu’en français, puisqu’il est généralement postulé que le système sémantique est commun aux deux langues.
Nous avons vu tout au long de ce chapitre que beaucoup de facteurs venaient influencer aussi bien les déficits langagiers que leur récupération, et que l’importance de leur influence était mal connue. Plusieurs chercheurs ont proposés différentes théories pour expliquer ces phénomènes, mais aucune ne paraît entièrement satisfaisante. Elles ouvrent néanmoins des pistes pour des recherches futures.
Le choix de la langue ou des langues à effectuer pour réaliser la rééducation ne rencontre pas plus de consensus, et les processus à l’origine des transferts des effets positifs d’une rééducation obtenus dans une langue vers l’autre langue ne sont pas très bien connus. Madame HH. a choisi d’effectuer sa rééducation en français, vraisemblablement parce qu’il s’agit de la langue de son environnement social et familial. De plus, son déficit en néerlandais est apparemment léger et similaire à son déficit en français, il n’y avait donc pas plus de raisons de rééduquer cette langue qu’elle utilise assez peu.
[1] Wald, I. (1958). Zagadnienie afazi poliglotow postepy. Neurologia, Neurochirurgia, Psychiatria Polska, 4, 183-211, cité dans Voinescu, I. et al. (1977).
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