4. Conclusion générale
En ce qui concerne l’évaluation des aphasiques polyglottes, nous avons vu au cours de ce travail que différentes possibilités existaient, chacune avec leurs points forts et leurs points faibles. J’ai choisi d’utiliser avec Madame HH. une batterie de Paradis créée pour les bilingues ainsi que la traduction d’un test existant dans une langue.
Pour améliorer l’évaluation des aphasiques polyglottes, il pourrait être intéressant de disposer d’une batterie du type de celle de Paradis, mais dans laquelle il est donné une plus grande importance à l’influence des variables psycholinguistiques. Cela permettrait par exemple de voir si les différentes variables ont la même influence au travers des langues.
Nous avons vu aussi qu’il existait différents patterns de récupération et de déficits influencés par différentes variables, mais que l’importance de l’influence de ces variables était mal connue. Les résultats obtenus par Madame HH. aux différents tests semblent indiquer que ses déficits sont parallèles dans les deux langues. Au vu de l’histoire de son bilinguisme, ses déficits ne semblent pas être influencés par exemple par l’âge d’acquisition des langues ni le contexte d’apprentissage.
Plusieurs chercheurs ont proposé des hypothèses pour expliquer les différence de déficits entre les deux langues et la façon dont la récupération se déroule, mais aucune n’est entièrement satisfaisante. L’aphasie chez les bilingues est encore un phénomène mal compris.
Il n’y a pas non plus de consensus quant au choix de la ou des langues à rééduquer et quant aux mécanismes qui sont à l’origine du transfert des effets positifs d’une rééducation dans l’autre langue. Il est cependant probable que plusieurs facteurs interviennent dans ce transfert et que l’explication soit loin d’être simple.
On a pu voir au cours de ce travail que beaucoup d’hypothèses ont été proposées. Cependant, on peut regretter qu’il n’y ait pas plus de recherches réalisées dans le but de tester ces différentes hypothèses, ce qui permettrait d’avancer davantage dans le domaine de l’aphasie chez les polyglottes. De plus, ces hypothèses concernent souvent « la langue » prise comme un tout plutôt que de la considérer dans ses différentes composantes.
Le domaine de l’aphasie chez les bilingues ou polyglottes pose donc encore beaucoup de questions aux chercheurs.
Pour Paradis (1989, 2000), les recherches futures doivent s’efforcer de répondre à des questions qui restent sans réponse depuis des années. Une des questions concerne par exemple les facteurs responsables des différentes façons dont se produisent la récupération des langues (parallèle, différentielle, successive, sélective, antagoniste, mélangée), et plus spécialement les facteurs qui déterminent le fait que les langues vont être récupérées d’une façon plutôt qu’une autre, et ceux qui déterminent le fait qu’une langue sera mieux récupérée qu’une autre.
Il s’agira aussi de déterminer comment choisir la langue la mieux adaptée pour la rééducation en cas de récupération non parallèle. Il s’agira aussi de montrer le rôle des structures cérébrales sous-jacentes à la compétence linguistique implicite, à la connaissance métalinguistique et aux capacités pragmatiques, et de déterminer le rôle de ces structures dans l’acquisition, la représentation et le traitement des langues premières de l’enfant et des langues acquises plus tard dans la vie. Il s’agira aussi d’explorer les aspects cognitifs et neuropsychologiques de tâches langagières particulières comme le mixing, le switching et les traductions simultanées.
Pour Gollan et Kroll (2001), il n’existe pas encore de modèle qui spécifie à quel point le mécanisme de contrôle de passage d’une langue à l’autre peut être altéré de manière stratégique. Il n’existe pas non plus de preuves empiriques indiquant comment les différentes modalités sont reliées à ce mécanisme de contrôle. Pour le moment, il est considéré comme étant indépendant des modalités mais très peu de discussions ont eu lieu à ce sujet. Ils s’interrogent aussi sur les raisons qui font, lors d’une aphasie présentant un pattern antagoniste, que ce soit tantôt une langue qui soit inhibée et tantôt une autre. Enfin ils posent des questions sur l’inaccessibilité d’une langue lors d’une aphasie antagoniste, c’est-à-dire sur l’existence de connaissances résiduelles à propos de cette langue. Cela permettrait de savoir à quel niveau de traitement l’accès à cette langue est bloqué.
C’est en partie pour répondre à toutes ces questions que Paradis a créé avec ses collaborateurs les batteries d’évaluation pour les aphasiques bilingues. En faisant passer des batteries équivalentes à un grand nombre d’aphasiques bilingues et en recueillant toutes les informations demandées dans la batterie quant à l’histoire de leur bilinguisme, il espère pouvoir disposer de suffisamment de données pour pouvoir répondre à plusieurs de ces questions dans quelques années.
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