Il est grand temps que j’en revienne à ce travail de Caroline Lebleu dont j’ai commencé la présentation il y a belle lurette : ICI.
Pour rappel, ce travail a pour objet l’étude du traitement de l’intention au sein de la population aphasique non fluente. En effet, il se pourrait que le traitement de l’intention puisse avoir un effet bénéfique sur la production orale de ces patients.
Dans le message de ce jour, Caroline nous propose quelques notions théoriques.
1. Définition des mécanismes intentionnels.
Les mécanismes intentionnels correspondent à la capacité de sélection d’une action parmi d’autres en compétition, et cela pour son initiation et son exécution. Ces processus jouent un rôle essentiel dans les actions complexes (langage, gestuelle…). Plus spécifiquement, les systèmes intentionnels soutiennent la production du langage en favorisant la sélection des mots et l’initiation de la parole.
2. Repères neuro-anatomiques.
Avant d’aborder les différents liens entre les mécanismes intentionnels et ceux soutenant le langage, il semble important de pouvoir les situer au sein des circuits neuronaux.
Tout d’abord, les mécanismes intentionnels se situent au niveau du cortex frontal médian. Il s’agit de la SMA (Supplementary Motor Area) pour les mouvements simples et de la pré-SMA pour les mouvements plus complexes (voir ici). Ces derniers sont qualifiés de complexes lorsqu’ils impliquent la sélection d’un programme moteur. Les mécanismes de l’intention se situent également au niveau de la zone cingulaire rostrale et mobilisent les structures frontales latérales et les noyaux gris centraux (Heilman, Watson & Valenstein, 2003).
Images empruntées ici :
http://www.abieducation.com/binder/French/chap1.html
http://www.anatomie-humaine.com/Le-Cerveau-1.html
http://www.rezoscience.ch/rp/parcours-alpha/conscience/p15/complem.html
La production du langage implique l’activation du cortex frontal latéral de l’hémisphère gauche. Evidemment, pour ce travail nous nous intéresserons aux patients droitiers pour lesquels le langage se situe dans leur hémisphère gauche.
3. Influence de l’intention sur le langage.
Maintenant que les mécanismes de l’intention ont été exposés, ainsi que ceux responsables de la production du langage, qu’en est-il du lien entre ces deux fonctions ? Selon les auteurs (Crosson, Benefield et al., 2003 ; Crosson, Sadek et al., 2001 ; Moore et al., non publié), il existe une boucle comprenant la pré-SMA, le noyau caudé dorsal et le thalamus ventral antérieur, boucle qui est impliquée dans la sélection des représentations lexicales préexistantes lors de la génération de mots. Par ailleurs, on sait que cette boucle ne s’active pas en cas de production de syllabes dénuées de sens ou de répétition de mots. Ainsi, la pré-SMA crée un biais rapide et automatique vers la sélection d’un mot et les noyaux gris centraux maintiennent ce biais de réponse au sein de l’hémisphère dominant dans le but d’influencer les comportements lors de la sélection des mots (Copland, 2003 ; Copland, Chenery, & Murdoch, 2000). Il est important de noter que la pré-SMA gauche entretient des projections bilatérales avec les noyaux de la base. C’est ce qui permet normalement aux noyaux gris centraux droits de supprimer l’activité frontale droite lorque la pré-SMA gauche initie la production verbale au niveau de l’hémisphère gauche. Cette manière de considérer les choses est en accord avec les conceptions des ganglions de la base qui auraient un rôle de facilitation des comportements désirés ET d’inhibition des comportements non désirés.
Nous verrons plus tard que tout ceci est essentiel lorsque l’on considère les résultats des patients suite à une thérapie axée sur l’intention.
4. Lien entre l’intention et l’aphasie non fluente.
Le lien entre les mécanismes intentionnels et le langage ayant été clarifié, que se passe t-il lorsque cette dernière fonction est lésée ?
Tout d’abord, il est remarquable de constater que, lors de lésions ischémiques de l’artère cérébrale moyenne (qui affectent les structures frontales latérales mais pas les structures frontales médiane) , la récupération de l’aphasie non fluente s’accompagne d’un réorganisation péri-lésionnelle (gauche) plus importante que la réorganisation au sein de l’hémisphère droit. Dans ces cas, une mauvaise récupération s’accompagne plutôt d’une réorganisation de l’hémisphère droit (cet hémisphère – ses structures fronto-latérales – tenterait d’assumer les fonctions de production langagières MAIS les structures frontales médianes restent actives au sein de l’hémisphère gauche, ce qui a pour effet, via les noyaux de la base droits, d’inhiber l’activité fronto-latérale droite).
En théorie, l’aphasie non fluente chronique résulterait d’une déconnexion entre l’intention et le langage au sein de l’hémisphère gauche. En effet, l’implication de la pré-SMA dans l’initiation du langage pourrait expliquer pourquoi des lésions dans cette aire produisent une forme d’aphasie non fluente, pour laquelle il est question d’une mauvaise génération de mots mais d’une compréhension et et d’une répétition relativement préservées. De plus, dans les années 1950, de nombreux auteurs ont remarqué que des lésions frontales médianes provoquaient un mutisme akinétique. Ils ont alors défini ce trouble comme un déficit de l’intention et non du langage vu le peu de comportements spontanés observés (Barris & Schuman, 1953 ; Tijssen et al., 1984 ; …).
Il en découle (voir plus haut mais il semble essentiel de bien saisir ces nuances avant de poursuivre) plusieurs hypothèses relatives à l’organisation des processus langagiers suite à une aphasie non fluente. Tout d’abord, il a été démontré que dans l’aphasie sévère non fluente chronique, les lésions des mécanismes de production du langage de l’hémisphère gauche modifient les régions homologues dans l’hémisphère droit (ex. Karbe et al., 1998). Par conséquent, Crosson, Benefield et al. (2003) font état de deux réalités. D’une part, l’activité frontale latérale droite combinée à l’activité frontale médiane gauche est un moyen inefficace pour la sélection des mots et l’initiation du langage (voir ci-dessus). D’autre part, les structures frontales médianes gauches (pré-SMA) peuvent supprimer l’activité frontale latérale droite via les noyaux gris centraux droits, et ce afin de prévenir des interférences avec les processus de l’hémisphère gauche. Il en résulterait une diminution de l’efficacité des processus de production des mots. Cette dernière possibilité concorde avec le fait que les noyaux gris centraux favorisent les comportements désirés et suppriment ceux qui ne le sont pas (ex. Mink, 1996). De plus, les nombreuses projections bilatérales de la pré-SMA gauche vers les noyaux gris centraux rendent possibles de telles interactions.
5. Le traitement de l’intention pour des patients aphasiques non fluents.
L’objectif de ce traitement est, chez des patients présentant une aphasie non fluente chronique, d’amorcer les mécanismes de l’intention au sein de l’hémisphère droit pour favoriser la production du langage.
Pour ce faire, les mécanismes intentionnels sont manipulés par le biais de mouvements complexes non symboliques effectués par la main non dominante puisque ces mécanismes intentionnels sont situés dans la pré-SMA droite, adjacente à la région facilitant les mouvements complexes de la main gauche. En effet, les études d’imagerie indiquent que la pré-SMA s’active lors de mouvements complexes de la main et lors de la production de mots mais que la localisation des pics au sein de la pré-SMA diffère (Picard & Strick, 1996). De plus, d’autres auteurs indiquent encore que l’activité de la pré-SMA lors de la génération de mots se chevauche avec la région impliquée dans les mouvements complexes de la main (ex. Crosson et al., 1999, 2001, 2003). Ainsi, vu la connexion existante entre la pré-SMA et le cortex préfrontal latéral (ex. Picard & Strick, 1996), l’augmentation résultante de l’activité de la pré-SMA droite pourrait accentuer l’activité frontale latérale droite. Pour supporter cette hypothèse, Abdullaev & Posner (1998) ont montré que l’activité médiane (pré-SMA) précède l’activité fronto-latérale, ce qui démontre l’influence de la première sur la dernière.
En d’autres termes, dans le traitement de l’intention il est question d’amorcer l’activité de la pré-SMA droite avec un mouvement complexe de la main gauche, en même temps que la génération de mots obtenue par une tâche de dénomination d’images. Ce mouvement rendrait, en retour, l’engagement des régions fronto-latérales droites plus efficace pour ce qui est de la production de mots chez le patient aphasique non fluent. Pour pouvoir bénéficier de cet effet, il est important de réaliser le mouvement simultanément à la production de mots (ex. Rose & Douglas, 2001). Et enfin, les études proposent la réalisation d’un mouvement non symbolique suite aux observations faites sur les effets de l’utilisation du langage des signes indo-américains sur la production verbale des aphasiques non fluents. En effet, ces études combinaient simultanément un geste symbolique représentant l’objet et la dénomination de cet objet et les individus participant ont montré une amélioration significative de leurs performances en dénomination. Cependant, l’interprétation actuelle serait de dire que c’est l’activation des mécanismes intentionnels droits plus que la composante symbolique du mouvement qui aurait mené à une amélioration de la dénomination chez ces patients.
Pour conclure cette présentation théorique de manière plus générale, ajoutons que l’intérêt de la thérapie de l’intention serait d’optimiser la complémentarité et l’efficacité des structures cérébrales pour aboutir à une meilleure production du langage.
Cette présentation powerpoint vous permettra de résumer et d’anticiper la suite (visionnez-la en mode « plein écran ») :
Ping : À la recherche de la spontanéité de la parole. | Labortho
Travail très intéressant, merci, je vais approfondir à tête (presque) reposée