Concrétude 8

SUITE

EFFETS DE LA CONCRETUDE DES MOTS SUITE A UNE LESION CEREBRALE : LES FAITS. (4 : Présentation du patient DM (Breedin, Saffran & Coslett, 1994)

Auteurs : Breedin, S.D., Saffran, E.M., & Coslett, H.B.
Titre : Reversal of the concreteness effect in a patient with semantic dementia.
Revue: Cognitive Neuropsychology, 1994, 11, 617-660.

Suite à une atrophie de ses lobes temporaux, et plus encore au niveau de l’hémisphère gauche, DM présente une dégradation lente de ses facultés cognitives depuis l’âge de 52 ans. Lorsqu’il est examiné par Breedin et al. (1994), 4 ans après le début de la maladie, son QI verbal est de 86, son QI performance de 92 et son quotient mnésique de 73.
Sur une échelle d’évaluation standardisée, sa démence est considérée comme légère à modérée.

Dans un premier temps, nous résumerons les résultats obtenus par DM aux examens qui tendent à démontrer qu’il souffre d’une « démence sémantique », c’est à dire d’une détérioration progressive du langage avec une anomie sévère mais un langage spontané relativement fluent, des troubles de la compréhension lexicale mais non de la compréhension syntaxique, une dyslexie de surface, de bonnes capacités perceptuelles et une préservation de la mémoire épisodique.

Le manque du mot est modéré en langage spontané et important endénomination, quelle que soit la catégorie syntaxique (noms vs verbes) et quelle que soit la modalité de présentation (images, bruits). Il obtient cependant de meilleurs résultats en dénomination sur base de définitions. Il ne commet aucune paraphasie phonémique, ses erreurs étant toutes des non réponses.
Sa compréhension lexicale est fortement altérée mais sa compréhension grammaticale est intacte.
Il présente une dyslexie de surface.
Sa mémoire auditivo-verbale à court terme est bonne mais non samémoire à long terme, du moins en testing. Dans la vie de tous les jours, sa mémoire épisodique paraît cependant bien préservée et l’on peut penser que ses problèmes de mémoire sont attribuables à ses troubles sémantiques.

Ses traitements visuels de bas niveau sont sans particularité et les tâches de copie différée de dessins sans signification sont bien réalisées.
Cependant, ses représentations structurales visuelles des objets semblent être modérément altérées. Ainsi, dans une tâche de décision « dessin d’objet réel vs dessin de non-objet (ex : un chat à tête d’éléphant) », DM refuse 6 objets réels sur 30 et accepte 7 non-objets sur 30 (les sujets de contrôle commettent entre 1 et 9 erreurs au total). De même, bien que sa perception des couleurs soit intacte, il ne peut choisir le bon crayon (parmi quatre) pour colorier 28 dessins que dans 10 cas (exemple d’erreur : une souris orange et une carotte grise).

Dans la suite, nous présenterons les résultats de DM aux différents tests qui ont permis d’établir l’importance de ses troubles sémantiques.

A un test purement non verbal d’appariement de dessins par le contexte (ex: pyramide avec palmier plutôt que sapin), il ne fournit que 60% de réponses correctes. Lorsque l’appariement doit être fait sur base de la fonction des objets (ex. : bouton avec tirette plutôt qu’avec pièce de monnaie), ses performances sont aussi nettement déficitaires : 64% de choix corrects.

A un test de séquences logiques d’images (logique spatiale, ex. : 1/ un train entre dans un tunnel, 2/ il est dans le tunnel, 3/ choix, il en sort de l’autre côté OU du côté où il est entré ; logique sémantique, ex. : 1/ les ingrédients pour faire un gâteau, 2/ la pâte dans un bol, 3/ choix, un gâteau OU un rôti), il ne commet aucune erreur pour les séquences spatiales mais 38% de ses choix sont erronés aux séquences sémantiques. Il y a donc un problème majeur lorsque la tâche fait appel aux connaissances qui concernent les relations entre objets ou événements.

Lorsqu’on lui demande lequel de trois mots écrits ne va pas avec les autres (269 items testant 16 catégories sémantiques différentes, 3 passations du test), ses résultats se situent au niveau du hasardpour les animaux, les insectes et les instruments de musique. Il est également fortement déficitaire pour les personnages célèbres, les sports, l’alimentation, … Les seules catégories relativement préservées sont les parties du corps (14/18), le mobilier (10.7/14) et les professions (16.6/24).

Enfin, il reste à décrire la spécificité de ses troubles sémantiques.
DM a été invité à définir 192 mots abstraits (98 de haute fréquence et 94 de basse fréquence) et 194 mots concrets (88 fréquents et 106 peu fréquents. Quatre sujets ont estimé la qualité des définitions fournies sur une échelle à 7 points. Exclusion faite des 22 mots pour lesquels DM ne donne aucune définition, DM se montre significativement meilleur à définir les mots de haute fréquence que les mots peu fréquents (130/181 vs 70/200) et il définit mieux les mots abstraits que concrets (111/187 vs 89/194). La différence entre mots concrets et abstraits n’est par ailleurs significative que pour les mots peu fréquents (45% vs 26%). Pour les mots fréquents, il n’y a pas de différence significative en fonction du degré de concrétude mais la tendance va dans le même sens. Et il n’y a certainement pas d’avantage, classiquement observés chez les sujets sains, en faveur des mots concrets.
Par ailleurs, les définitions que donne DM des mots concrets manquent singulièrement de termes perceptuels (qui réfèrent à une qualité expérimentée par un des cinq sens, par exemple la couleur pour le mot «carotte»). On ne trouve effectivement que 13 termes de ce type dans ses 194 définitions de mots concrets. Ses définitions de mots abstraits sont, elles, beaucoup plus précises.

Au test d’appariement mot/images de Shallice et McGill, DM est largement déficitaire pour tous les types de mots (concrets : 11/30, abstraits : 16/30 et émotionnels : 4/15), sans différence entre catégories si ce n’est que les mots abstraits sont significativement mieux traités que les mots émotionnels, ces derniers étant sans doute plus imageables, quoiqu’aussi abstraits, que les précédents.
DM se distingue cependant des sujets de contrôle puisque ceux-ci (n = 5) ont tous plus de difficultés avec les mots abstraits qu’avec les mots concrets et, soit ont de meilleurs résultats avec les mots émotionnels qu’avec les mots abstraits, soit ne présentent pas différences entre les deux catégories.

A un test d’exclusion d’intrus (la fréquence des mots est contrôlée) où trois mots écrits (et lus par l’examinateur) sont présentés, dont deux sont synonymes ou quasi synonymes (ex : fidélité et loyauté) et le troisième est à exclure car sans rapport ou en rapport moins étroit avec les deux autres, DM obtient les résultats suivants : pour les triplets de mots concrets (aisément dessinables), il fournit 15 réponses correctes sur 26 items ; pour les triplets de mots abstraits, son score est de 22/26. Ces résultats vont à nouveau dans le sens contraire à celui des sujets de contrôle.

A une tâche similaire destinée à comparer la compréhension des verbes (ex.: permettre – autoriser – encourager) par rapport aux noms concrets (ex.: auto – train – voiture), DM fournit 15 réponses correctes sur 16 triplets de verbes et seulement 10 pour les 16 triplets de noms.

Sans entrer dans les détails des analyses, on peut considérer que les résultats de DM à une tâche de décision lexicale auditive sont sans grandes particularités. Le lexique phonologique est bien préservé pour toutes les catégories de mots.

A une tâche de vérification d’attributs sémantiques (certains attributs sont de nature perceptuelle : est-ce rond ?, est-ce carré ?, est-ce que cela a quatre pattes ?, est-ce brillant ?, … ; d’autres non : est-ce dangereux ?, est-ce utilisé à l’extérieur ?, …) portant sur 78 noms d’objets vivants (ex. : poire, autruche) ou non vivants (ex. : ancre, vase), DM répond mieux (par oui/non) aux questions portant sur des attributs non perceptuels (61/71) qu’à celles qui portent sur des attributs perceptuels (59/85). Les sujets de contrôle ne commettent, eux, quasi aucune erreur.

Au moyen d’une tâche similaire à la précédente, les auteurs ont cherché à démontrer que DM a également des difficultés particulières à traiter les traits sémantiques perceptuels ou sensori-moteurs des verbes (ceux qui spécifient les caractéristiques de l’action elle- même). Ils ont donc construit 81 triplets de verbes. Dans 27 de ceux-ci (triplets Non Relationnels ou NR), l’intrus a une signification opposée aux deux autres (ex. : augmenter – diminuer – abaisser, saisir – lâcher – empoigner, récolter – cueillir – planter) ; dans 27 autres (triplets R ou Relationnels), les verbes décrivent le même événement mais l’intrus diffère des deux autres dans les relations qu’il impose entre rôles grammaticaux de sujet et d’objet et entre les rôles thématiques d’agent et de thème (ex. : acquérir – acheter – vendre, convaincre – admettre – persuader, rappeler – se souvenir – se remémorer) ; enfin, dans le troisième groupe (triplets M pour Manière), les trois verbes font référence à la même action mais l’intrus diffère des deux autres dans la manière avec laquelle l’action est réalisée (ex. : écraser – enfoncer – broyer, jacasser – caqueter – bégayer, mâcher – avaler – ingurgiter). DM obtient les résultats suivants (les scores de 5 sujets de contrôle sont donnés entre parenthèses) :
– triplets NR : 25/27 (contrôles : 25 à 27, moy. :26.6)
– triplets R : 21/27 (contrôles : 19 à 26, moy. : 23)
– triplets M : 13/27 (contrôles : 20 à 26, moy. : 23.5)

DM n’est donc déficitaire que pour les triplets M, c’est à dire pour les verbes dont la composante sémantique sensori-motrice est essentielle. De plus, alors que les sujets sains répondent plus vite aux triplets M qu’aux triplets R, DM est plus rapide à faire son choix pour les triplets R que pour les triplets M.

Tout ceci mène à la conclusion que les aspects perceptuels de la signification des noms et des verbes sont particulièrement altérés.

Cognitive Neuropsychology
http://www.psypress.co.uk

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Lien utile:
http://crl.ucsd.edu/newsletter/8-2/Article1.html

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