Concrétude 4

Analyse d’un cas (seconde partie)
La compréhension des mots écrits isolés a été testée au moyen de tâches d’appariements mots/images.
A une adaptation française du LUVS test de Bishop et Byng (non publié, Cognitive Neuropsychology, 1984, 1, 233-244), un mot et cinq images dont un distracteur sémantique proche, un distracteur sémantique éloigné, un visuel et un sans rapport avec la cible sont présentés. Le patient fournissait 31 réponses correctes sur 40 items (4 erreurs par choix du distracteur sémantique proche et 5 refus de choisir).
A la batterie de l’examen de la lecture de madame de Partz (non publiée) où quatre images sont présentées, il obtenait les résultats suivants :
– série avec distracteurs sémantiques : 18/20
– série avec distracteurs visuellement proches sur le plan graphémique (ex : chapeau, château, chameau,…) : 17/20
– série « dérivationnelle » (ex : boule, boulet, boulier,…) : 8/20 .

Dans l’espoir de comparer la compréhension auditive à la compréhension écrite de mots isolés, le patient a été soumis à une tâche de choix du synonyme d’un mot cible. Le choix devait être réalisé entre trois mots : un synonyme réel, un mot sémantiquement proche mais non synonyme de la cible et un mot sans rapport.
L’épreuve (adaptée du mémoire de licence en logopédie de Véronique Gilmont : Construction d’une batterie d’épreuves évaluant la reconnaissance, la compréhension et la production orale de verbes et de noms abstraits et concrets, UCL, 1995) est composée de 120 items répartis en quatre groupes de 30 items : des substantifs concrets (SC) et abstraits (SA) et des verbes concrets (VC) et abstraits (VA). Les quatre listes sont équilibrées du point de vue de la fréquence des mots qui les composent.

Les items ont été présentés en modalité écrite (ME) et, après réponse du patient, les mots étaient lus par l’examinateur et le patient était invité à confirmer ou à modifier son choix. Ceci sera, dans la suite, désigné comme la modalité auditive ou MA.

Les résultats ont été analysés de trois manières :
1) En comptant le nombre de choix parfaitement corrects (les synonymes),
2) En comptant le nombre de choix du distracteur sémantique sur le total des réponses incorrectes,
3) En comptant un point pour les réponses de type 1 (choix du synonyme) et un demi point pour les réponses de type 2 (choix du distracteur sémantique proche).

Ces trois analyses sont toujours fournies dans cet ordre dans ce qui suit !!!

Les résultats indiquent trois effets principaux :
– La compréhension auditive est meilleure que la compréhension écrite (MA > ME : 75/120 vs 38/120, 34/45 vs 28/82, 92 points vs 51,5 points).
– La compréhension des noms est meilleure que celle des verbes (S > V : 62/120 vs 51/120, 36/58 vs 25/69, 80 points vs 63,5).
– La compréhension des mots concrets est meilleure que celle des mots abstraits (C > A : 66/120 vs 47/120, 22/54 vs 39/73, 77 points vs 66,5 points).

Les interactions simples tendent à montrer que :
– La supériorité des substantifs sur les verbes n’est apparemment significative qu’en modalité écrite. En effet, en modalité auditive, les différences entre substantifs et verbes sont mineures (S = V : 40/60 vs 35/60, 16/20 vs 18/25, 48 points vs 44 points). En modalité écrite, les différences sont plus nettes (S > V : 22/60 vs 16/60, 20/38 vs 7/44, 32 points vs 19,5 points).
– La supériorité des concrets sur les abstraits ne semble significative qu’en modalité auditive (C > A : 45/60 vs 30/60, 11/15 vs 23/30, 50,5 points vs 41,5 points). En modalité écrite, la différence s’estompe (C = A : 21/60 vs 17/60, 11/39 vs 16/43, 26,5 points vs 25 points).
– La supériorité des concrets sur les abstraits n’est vraie que pour les substantifs (SC > SA : 45/60 vs 17/60, 11/15 vs 25/43, 50,5 points vs 29,5 points). Pour les verbes, la tendance pourrait même être inversée (VC < ou = VA : 21/60 vs 30/60, 11/39 vs 14/30, 26,5 points vs 37 points.
– La supériorité des substantifs sur les verbes n’est vraie que pour les mots concrets (SC > VC : 45/60 vs 21/60, 11/15 vs 11/39, 50,5 points vs 26,5 points). Pour les mots abstraits, il y aurait même une supériorité des verbes sur les substantifs (SA < VA : 17/60 vs 30/60, 25/43 vs 14/30, 29,5 points vs 37 points).

Enfin, en recréant un tableau ou un diagramme à partir des chiffres suivants, vous pourrez visualiser l’interaction triple.

MA,SC : 28/30, 2/2 et 29 points
MA,VA : 18/30, 9/12 et 22,5 points
MA,VC : 17/30, 9/13 et 21,5 points
MA,SA : 12/30, 14/18 et 19 points
ME,SC : 17/30, 9/13 et 21,5 points
ME,VA : 12/30, 5/18 et 14,5 points
ME,SA : 5/30, 11/25 et 10,5 points
ME,VC : 4/30, 2/26 et 5 points

On voit donc qu’il y a supériorité des substantifs sur les verbes, et ce quelle que soit la modalité de présentation. Cependant, ceci n’est vrai que pour les mots concrets (MA,SC > MA,VC et ME,SC > ME,VC).
Pour les mots abstraits, la tendance est inversée et les verbes abstraits seraient mieux compris que les verbes concrets (MA,VA > MA,SA et ME,VA > ME,SA.
En d’autres termes, il apparaît en tous cas que l’effet lié à la catégorie grammaticale (S > V) est, chez monsieur AA, limité aux mots concrets.

On voit également que, dans les deux modalités de présentation, les substantifs concrets sont mieux compris que les substantifs abstraits (MA,SC > MA,SA et ME,CS > ME,VC).
Pour les verbes, il n’y a pas de différence en fonction du degré de concrétude en modalité auditive (MA,VA = MA,VC) et, en modalité écrite, les verbes abstraits seraient même mieux compris que les verbes concrets (ME,VA > ME, VC).
En d’autres termes, il apparaît en tous cas que l’effet de concrétude (C > A) est, chez monsieur AA, limité aux substantifs.

Si ces effets avaient pu être confirmés par d’autres épreuves et plus tard dans l’évolution, ils tendraient à montrer que, chez ce patient, non seulement l’accès à la sémantique ou au lexique est influencé par les facteurs de catégorie grammaticale et de concrétude, mais aussi et surtout que ces deux facteurs ne sont pas indépendants.

Signalons pour clore cette présentation que la compréhension auditive s’est améliorée en cinq semaines, du moins pour les substantifs concrets (des contrôles n’ont pas été réalisés pour les autres conditions). En effet, au LUVS test de Bishop et Byng en version auditive, le patient donnait 34 réponses correctes à l’entrée (toutes les erreurs correspondaient à des choix du distracteur sémantiquement proche). A sa sortie, son score était de 39 réponses correctes sur les 40 items.
De même, ses résultats étaient un peu améliorés à l’épreuve de compréhension syntaxico-sémantique des Cliniques Saint-Luc (non publiée) :
– traitement des marqueurs du nombre : 15 et 16/18,
– traitement des marqueurs du genre : 10 et 12/14,
– traitement de trois types de phrases (actives et passives réversibles, enchâssées) : 11 et 13/16.

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