Investigations neuropsychologiques des fonctions attentionnelles

Par Michel LECLERCQ

I. Introduction

Avec les difficultés de mémoire, les troubles attentionnels constituent les déficits les plus fréquemment rencontrés lors de l’évaluation neuropsychologique de sujets cérébrolésés. La détection de ce type de limitations est corrélée avec la fréquence des plaintes évoquées par les patients et/ou leur entourage proche (pour une analyse détaillée : Leclercq & al., 2002). Un examen au moins sommaire des principales fonctions attentionnelles reste toutefois requis lors de tout bilan neuropsychologique car l’existence de difficultés peut être effective en l’absence d’une quelconque plainte exprimée par le patient ou son entourage. L’anosognosie du sujet, entre autres, peut être à l’origine de l’absence de plaintes spécifiques. Or, la détection de ce type de difficulté est essentielle vu leurs répercussions sur d’autres fonctions cognitives. En effet, l’attention constitue une fonction cruciale dont l’efficience va déterminer la qualité des performances dans la plupart des tâches auxquelles on soumet le sujet. Par ailleurs, l’absence de signes cliniques manifestes (difficultés à rester concentré, fatigabilité, faible résistance à l’effort mental voire somnolence, etc.) ne dispense pas, elle non plus, d’inclure systématiquement une évaluation de l’efficience attentionnelle, y compris au sein d’un examen de routine. En effet, nombre de sujets n’évoquant aucune plainte spontanée ou en réponse aux questions précises de l’examinateur et pour lesquels rien au niveau comportemental ne permet de suspecter la présence de limitations attentionnelles présentent néanmoins des difficultés significatives lors d’investigations spécifiques. Or, ces dysfonctionnements infra-cliniques peuvent s’avérer aussi invalidants que les limitations accompagnées de manifestations aisément repérables.

Quelle que soit la sphère investiguée au sein de l’architecture cognitive, tout examen neuropsychologique s’effectue à partir d’une trame théorique permettant d’orienter le choix des épreuves utilisées et l’affinement du diagnostic à partir des hypothèses successives qui jalonnent la mise en évidence et l’identification de l’origine des troubles. Qu’en est-il lors de l’examen de l’attention ? Nous n’entrerons pas ici dans le détail des aspects théoriques de ce domaine (pour une revue : Leclercq, 2002). Nous nous limiterons à reprendre les trois grands types de modèles qui ont abouti à l’élaboration de la grille la plus utilisée actuellement.

1) Les modèles structuraux. Ces premiers modèles (Broadbent, 1958 ; Treisman, 1960 ; Deutsch & Deutsch, 1963 ) considèrent l’attention comme une entité, un « tout » indifférencié réalisant un ensemble d’opérations de type détection, sélection et filtrage sur les stimuli et informations sur lesquelles le sujet doit porter son attention. Ces modèles ont été élaborés en mettant l’accent sur l’importance des attributs physiques –saillance, intensité, etc.- des informations à traiter. Ce système attentionnel possède un ensemble de caractéristiques structurales, c’est-à-dire un ensemble d’éléments constitutifs ou de points de passage obligés par lesquels l’information doit transiter afin d’être correctement traitée. Mais un ensemble d’observations et d’expérimentations ont rapidement remis en cause l’aspect réducteur de ce type de modèle. On a en effet pu démontrer que les caractéristiques physiques des stimuli et l’architecture du système ne suffisaient pas à rendre compte de la modulation des compétences attentionnelles d’un individu vu que le traitement effectué dépassait manifestement l’analyse superficielle des stimuli auxquels on soumettait le sujet.

2) Aussi, ces entités structurales cèderont-elles rapidement la place à des modèles plus fonctionnels (Norman, 1968 ; Kahneman, 1973 ; Norman & Bobrow, 1975 ; Kinchla, 1980 ; Wickens, 1984a, 1984b) où l’accent sera mis cette fois non plus sur les éléments constitutifs du système mais bien sur la notion de capacité de traitement et de quantité de ressources attentionnelles disponibles. Le postulat de base de ces modèles fonctionnels peut se résumer comme suit : les ressources attentionnelles dont un individu dispose sont limitées, leur exploitation est fonction du degré d’investissement ou d’ « effort attentionnel » déployé par le sujet, ses ressources pouvant être allouées différemment selon les consignes auxquelles on le soumet. Ces modèles fonctionnels se sont avérés très productifs sur le plan théorique, aboutissant à des modélisations mathématiques parfois complexes (ex : « Performance Operating Characteristic » de Kinchla, 1980 ; Navon & Gropher, 1979) et prometteuses sur le plan de la prédiction du comportement attentionnel d’un sujet dans une situation donnée. Ainsi, par exemple, l’une des ambitions de ces modèles était de pouvoir prédire le nombre et types de tâches simultanées auxquelles on pourrait soumettre un sujet sans pour autant dépasser sa capacité de traitement. La réponse à ce type de problème pourrait bien sûr s’avérer très utile dans des situations pratiques tel le pilote d’avion qui est soumis à un grand nombre de tâches à réaliser en même temps ou encore le technicien qui, dans une centrale nucléaire, est chargé de contrôler un ensemble d’écrans de surveillance en vue du bon déroulement des opérations. Malheureusement, outre le fait que ces modèles restent généraux en appréhendant ici encore l’attention en tant que système indifférencié, leur pouvoir prédictif fut fréquemment mis en échec et ce, tout particulièrement dans l’étude de la conduite simultanée de plusieurs tâches.

3) Les modèles à composantes. Initié par Posner & Rafal (1987) ce type de modèle se démarque des précédents en considérant cette fois l’attention non plus comme un « tout indifférencié » mais bien comme un ensemble de mécanismes ou fonctions attentionnelles spécifiques, mobilisables en fonction du type de situation auquel le sujet est confronté. Actuellement, la version la plus élaborée de ce type de modèle revient à van Zomeren & Brouwer (1994). Nous en reprenons le schéma à la figure 1, schéma que nous détaillerons plus loin et qui nous servira de grille pour la présentation des différents outils d’évaluation disponibles.

 

Mais auparavant, une question. Et cruciale : original de vouloir faire éclater le système attentionnel en un ensemble de composantes distinctes et spécifiques, mais cette taxonomie des fonctions attentionnelles est-elle justifiée ? Plusieurs éléments permettent de répondre affirmativement à cette question. Tout d’abord, la spécificité des plaintes exprimées par certains patients, laquelle correspond à la spécificité de certaines observations cliniques. D’autre part, alors qu’un patient peut présenter un déficit pour certaines fonctions attentionnelles spécifiques, par exemple les fonctions A et B, un autre patient ne présentera des difficultés que pour la fonction A et un dernier patient uniquement pour la fonction B. Ce type d’observation recouvre ce que l’on dénomme le principe de double dissociation, principe qui justifie le bien-fondé du clivage de ces fonctions en sous-composantes du système. Enfin, à ces différentes composantes attentionnelles correspondent au niveau cérébral des réseaux de structures spécifiques (pour une synthèse : Sturm, 2001) dont l’identification se fait plus précise au fil du temps avec l’émergence de techniques d’imagerie médicale de plus en plus fines et détaillées.

 

Figure 1 : Version actuellement la plus élaborée du modèle à composantes attentionnelles (adapté de van Zomeren & Brouwer,1994).

 

II. Composantes attentionnelles et outils d’évaluation

1. La lenteur

Avant d’aborder les différentes composantes attentionnelles et les outils actuellement disponibles pour leur évaluation, nous nous arrêterons sur une particularité très fréquemment rencontrée dans les suites d’une affection neurologique et dont il est essentiel de tenir compte lors de l’évaluation de l’attention : la lenteur. Celle-ci peut se manifester à différents niveaux : de l’idéation (bradypsychie), de l’expression (bradyphémie), du mouvement (gestes, déplacements, exécution de tâches : bradykinésie) et enfin, au niveau du déroulement des processus cognitifs eux-mêmes (bradyphrénie). Cette lenteur constitue l’une des conséquences très fréquentes des lésions acquises (Blackburn & Benton, 1955 ; Hicks & Birren, 1970 ; Benton, 1986). La prise en compte du facteur lenteur est essentielle car, faute de tenir compte de ce paramètre dans les analyses des données propres à un sujet, le risque est grand d’interpréter ses performances de manière erronée. Prenons un exemple : trois patients A, B et C sont soumis à trois épreuves de temps de réaction (TR), à savoir une épreuve de TR simple, une épreuve de type Go/nogo dans laquelle il a à réagir à l’apparition d’une cible (une croix, p. ex.) tout en s’abstenant d’une quelconque réaction à l’apparition d’un distracteur (un rond, p. ex.) et, enfin, une épreuve de TR double binaire dans laquelle il doit réagir à deux types de stimuli (croix rouge ou rond bleu, p. ex) en s’abstenant d’actionner le bouton réponse à l’apparition de deux distracteurs (croix bleue et rond rouge). Le tableau 1 reprend pour chacun de ces trois patients fictifs leurs performances à ces épreuves et les données normatives obtenues auprès de sujets sains.

 

EPREUVES Patient A Patient B Patient C Normes (Ecart-type)
TR simple : 600 msec. 350 msec. 250 msec. 300 msec. (s = 50 msec.)
Go/No go : 750 msec. 550 msec. 550 msec. 450 msec. (s = 100 msec.)
TR dble binaire : 920 msec. 750 msec. 900 msec. 600 msec. (s = 150 msec.)

Tableau 1: Performances de trois patients fictifs à trois épreuves.

 

En première analyse, on serait tenté de considérer que seul le patient B obtient des scores se situant dans les normes (< à 2 s ) pour l’ensemble des épreuves. A y regarder de plus près et en tenant compte de la lenteur marquée du patient A en détection simple (6 s en-deçà de la norme), ses performances sur le plan qualitatif aux deux épreuves de sélectivité sont plus qu’acceptables. En effet, en comparant l’épreuve Go/Nogo avec l’épreuve de TR simple, on constate que son temps de réponse n’augmente que de 150 millisecondes (msec.) alors que cette augmentation est de 200 msec. pour le patient B et que, par ailleurs, la comparaison TR double binaire vs Go/Nogo donne lieu à une augmentation de TR de 170 msec. (pour 200 msec. ici encore pour le patient B). On peut donc en conclure pour ce patient A que, hormis des temps de réponse pathologiquement lents, ses performances en sélectivité sont qualitativement irréprochables et se situent dans les normes. Par contre, pour le patient C, lequel obtient des TR courts en détection simple (1 s au-dessus de la norme), l’élévation des TR en Go/Nogo et double binaire est marquée (respectivement 300 et 350 msec.) et témoigne d’un ralentissement excessif des temps de décision en fonction de l’accroissement de la charge mentale à traiter.

 

Notons que ce phénomène de lenteur est à différencier tant des « lapsus attentionnels » (van Zomeren & Brouwer, 1992) que des phénomènes de fatigabilité. Les lapsus ou éclipses attentionnelles consistent en des relâchements transitoires de courte durée -quelques secondes tout au plus- de l’attention en cours d’activité. On considère que ce phénomène est présent lorsque dans une épreuve chronométrée apparaissent des TR qui, bien que de manière isolée, se situent à plus de deux écarts-type du TR moyen pour l’ensemble de la tâche. Quant au phénomène de fatigabilité, il se manifeste par une tendance à l’allongement significatif des TR au fil de l’épreuve ; alors que les TR se situent dans les normes en début de tâche, on assiste à un ralentissement de plus en plus en marqué au fil du temps.

L’évaluation de la lenteur, qu’elle soit constante ou transitoire, peut s’effectuer à partir de tâches telles que le subtest Code de l’échelle d’intelligence de Wechsler (Wechsler, 1970, 1981) ou d’une de ses variantes : le « Symbol Digit Modalities Test » (Smith, 1973). Cette tâche, outre le fait qu’elle possède une forte sensibilité (Lezak, 1983), permet de comparer la vitesse de traitement en modalité verbale et écrite. Une appréhension plus fine et permettant de détecter un ralentissement qui n’est pas toujours perceptible au niveau clinique se fera par le biais d’épreuves informatisées. Il existe différentes batteries (Alpherts & Alenkamp, 1995 ; Coyette & al., 1994 ; Leclercq & al., 1990, 2004 ; Miller, 1996 ; Zimmermann & Fimm, 1994) incluant des épreuves de TR simples permettant d’évaluer la vitesse « de base » d’un sujet, élément qui sera comme nous venons de le voir, à prendre en compte lors de l’interprétation des performances à des tâches plus complexes.

2. L’alerte

Dans leur modèle (Fig.1), van Zomeren & Brouwer (1994) distinguent deux axes ou dimensions: les aspects intensité et sélectivité de l’attention. L’alerte constitue l‘un des composants fondamentaux de l’axe intensité. Cette fonction attentionnelle comprend elle-même deux versants : l’alerte phasique et l’alerte tonique. L’alerte tonique correspond aux « changements diurnes du niveau d’éveil et des performances d’un sujet » (Posner & Rafal, 1987). Elle recouvre la notion d’ « arousal » des anglo-saxons et témoigne du niveau d’activation corticale du sujet. Il s’agit de changements lents, graduels, généralisés, involontaires du niveau d’éveil dont la régulation physiologique s’effectue par le biais d’une vaste structure située dans le tronc cérébral : la formation réticulée. Il n’existe pas d’épreuves spécifiques à l’évaluation de l’alerte tonique, laquelle repose sur l’observation clinique : obnubilation de la conscience, somnolence, paupières lourdes, bâillements, etc., le plus souvent accompagné de désorientation spatio-temporelle et d’une lenteur aspécifique et diffuse.

L’alerte phasique se caractérise quant à elle par la « facilitation instantanée et généralisée de la performance induite par un signal avertisseur (SA) » (Posner & Rafal, 1987). Par contraste avec l’alerte tonique, il s’agit ici au contraire d’un changement soudain, semi-volontaire, transitoire et fugace. La présence d’un SA précédant la cible à traiter optimise l’état de préparation du sujet, cette optimisation étant de courte durée. En situation de vie, on peut citer comme exemple l’attitude d’un athlète prêt à bondir hors de ses starting-blocks durant le bref laps de temps qui s’écoule entre le cri du moniteur (« Prêt ? ») et la détonation donnant le signal de départ. Posner & Boies (1971) ont pu démontrer que la réaction d’alerte phasique survient dès 100 msec. après la présentation du SA, l’effet étant maximal entre 500 et 1000 msec., pour décroître progressivement au-delà de cet intervalle de temps. Dans leur batterie, Zimmermann & Fimm (1994) analysent cette réaction d’alerte phasique en comparant les TR des sujets à une même épreuve de détection simple de cibles mais tantôt précédées d’un SA, tantôt en l’absence de SA. Dans les batteries BrainScan (Coyette & al., 1994) et Zorglub (Seron & al., 1985), les différents subtests d’alerte analysent en plus les temps de réponse en fonction de la modalité sensorielle du SA (visuel, auditif ou mixte).

 

3. La vigilance et l’attention soutenue

Ces composantes de l’axe « intensif » de l’attention recouvrent deux notions qui se situent aux extrémités d’un continuum. D’une part, la vigilance proprement dite que Macworth (1957) définit comme « Etat de préparation à détecter et réagir à certains changements discrets apparaissant à des intervalles de temps variables au sein de l’environnement ». D’autre part, l’attention soutenue qui nécessite un traitement actif et continu de la part du sujet d’un grand nombre d’informations dont le flux de présentation est rapide et ininterrompu. En situation de vie quotidienne, on peut illustrer la vigilance par la conduite d’un véhicule sur une autoroute dégagée et dans des conditions climatiques favorables et l’attention soutenue, par la situation dans laquelle se trouve l’interprète en traduction simultanée lors d’un congrès. Pratiquement, tout comme dans les épreuves de vigilance (p. ex. : batterie Zorglub de Seron & al., 1985), le conducteur est confronté à une tâche de surveillance monotone, de longue durée, au cours de laquelle les stimuli pertinents auxquels il aura à réagir sont peu fréquents voire même inexistants ; par ailleurs, tout comme dans les épreuves spécifiques d’attention soutenue (p. ex. : batterie BAWL de Leclercq, 2004), l’interprète en traduction simultanée est confronté(e) à un flux dense et rapide d’informations qu’il (elle) doit traiter de manière continue.

L’aspect qualitatif de la vigilance dépendra non seulement du nombre d’erreurs (fausses alarmes) ou d’omissions (absence de réaction aux cibles d’apparition peu fréquente) mais également de leur répartition au fil de l’épreuve ; on observe en effet le plus souvent chez les sujets dont la vigilance est déficiente à la fois un allongement des TR au fil du déroulement de l’épreuve (cfr. supra : notion de fatigabilité) accompagné d’un accroissement du nombre d’erreurs. Il arrive même que certains sujets s’assoupissent durant ce type d’épreuve… L’aspect qualitatif de l’attention soutenue sera quant à lui apprécié par la capacité du sujet à maintenir un rythme de traitement cognitif élevé et continu, l’amenant à fonctionner constamment à la limite de ses possibilités ; un excès de charge du système sera objectivé par la présence de lapsus ou éclipses attentionnelles (cfr. supra) ou encore par la fréquence d’interruptions de la tâche, témoin d’un dépassement de sa capacité de traitement.

 

4. L’attention focale et sélective

Selon James (1890), « la focalisation (…) implique le retrait de certains éléments afin d’en traiter plus efficacement d’autres ». Cette fonction de sélectivité, second axe dans le modèle de van Zomeren & Brouwer (1994), constitue un aspect central du système attentionnel : l’impérative nécessité pour le sujet de diriger, puis maintenir son foyer attentionnel sur les informations à traiter, tout en se désolidarisant des stimuli non relevants et distracteurs pour la tâche en cours. Une illustration de ce type de processus est la situation de cocktail-party au cours de laquelle les invités sont capables de traiter sélectivement les informations en provenance de différents interlocuteurs et ce, en dépit du nombre et de la diversité des éléments distracteurs auxquels ils sont confrontés. Les mécanismes sous-tendant la sélectivité sont donc triple : d’une part, l’orientation et la centration de l’attention sur l’information à traiter (sélectivité proprement dite), d’autre part le maintien en cours de traitement du foyer attentionnel sur l’information pertinente (focalisation) avec enfin, et simultanément, inhibition active des éléments pouvant parasiter ou perturber la qualité du traitement (distractibilité).

L’aspect sélectif de l’attention est l’un des plus étudiés et d’ailleurs à l’origine des premières tentatives de modélisation de l’attention (Cherry, 1953 ; Broadbent, 1958). Aussi, existe-t-il tout un éventail d’épreuves disponibles dont le choix sera fonction de l’aspect spécifique –sélectivité proprement dite, focalisation, déplacement du foyer attentionnel, distractibilité- que l’on souhaite investiguer. Parmi les outils aisément utilisables en clinique courante on citera tout d’abord un ensemble de tâches de discrimination visuelle : figures enchevêtrées (Pillon & al., 1989 ; Poppelreuter, 1917 ; Rey, 1966 ; Spreen & Benton, 1969), épreuves de « tracking » qui consistent en parcours à suivre visuellement au sein d’un enchevêtrement de trajets distracteurs (Rey, 1970 ; Wilson, 1961, 1972), ainsi qu’un ensemble d’épreuves de barrages qui se différencient en fonction de l’aspect structuré ou non de la présentation des items (Mesulam, 1985), de l’importance de la charge mentale à maintenir en mémoire de travail (Zazzo, 1969), de l’aspect significatif (Gauthier & al ., 1989 ; Robertson & al., 1994) ou non des cibles à traiter (Grewel, 1953), ou encore de l’aspect conditionnel du barrage à effectuer (Diller, 1982 ; Brickenkamp, 1966, 1981).

En ce qui concerne les épreuves informatisées, les TR à choix multiples constituent les tâches de prédilection pour l’analyse de l’attention sélective. Les paradigmes proposés varient principalement en fonction de deux paramètres : la modalité sensorielle sollicitée (visuelle et/ou auditive dans la plupart des cas) et le rapport entre le nombre de cibles et de distracteurs. On trouve ce type d’épreuve dans différentes batteries informatisées telles que la TEA (Zimmermann & fimm, 1994), la FePsy (Alpherts & Aldenkamps, 1995), le CalCAP (Miller, 1996) ou encore la BAWL (Leclercq, 2004).

 

5. Le monitoring simultané et l’attention divisée

Illustrons ces deux aspects par un exemple. Lors d’une discussion entre plusieurs interlocuteurs, chacun d’entre eux, pour être à même d’intervenir de manière adéquate au sein des échanges, est contraint de distribuer son attention sur certaines, voire à certains moments cruciaux de la discussion, sur l’ensemble des sources potentielles ou effectives d’informations que constitue chacune des personnes du groupe. La non prédictivité de l’ordre des prises de paroles nécessite de la part de chacun des intervenants une surveillance active, constante et simultanée de plusieurs sources. Ce type de situation se spécifie donc par le monitoring simultané de différentes sources potentielles d’informations à traiter ainsi que par l’aspect séquentiel des réponses à émettre. En effet, un des interlocuteurs réagira aux propos de l’un des intervenants puis de l’autre, même si ceux-ci se sont exprimés en même temps, l’un verbalement et l’autre par gestes par exemple.

Si l’un des membres de ce groupe de discussion, tout en continuant à participer activement aux échanges, prend des notes ou effectue un calcul mental ou encore compose un numéro de téléphone sur son portable, la fonction attentionnelle sollicitée chez lui sera différente car cette fois il exécute simultanément plusieurs tâches en parallèle. Il est en attention divisée. Dans ce cas, il ne s’agit plus uniquement de surveillance de plusieurs sources d’informations mais de la réalisation effective de plusieurs activités en même temps, c’est-à-dire l’émission conjointe de plusieurs comportements. Bien sûr, plus le degré d’expertise d’un sujet sera élevé pour une tâche donnée et plus il lui sera facile de la mener conjointement à une ou plusieurs autres (cfr. notions d’attention automatique vs contrôlée : voir entre autres, Schneider & Shiffrin, 1977). Les exemples de situations de tâches multiples en situation de vie quotidienne foisonnent et comme le souligne Lane (1982 ) : « sont plutôt la règle que l’exception ».

La façon la plus simple d’évaluer la capacité de monitoring simultané d’un sujet est de le soumettre à deux types de tâches de TR simples : dans l’une, les cibles auxquelles il aura à réagir sont toutes de la même modalité sensorielle (visuelle ou auditive p.ex.) et dans l’autre, où l’on mixe les deux types de stimuli (visuels et auditifs) contraignant ainsi le sujet à surveiller simultanément les deux sources potentielles. La comparaison de ses performances à ces deux tâches permettra d’apprécier le coût (élévation des TR) imputable au monitoring simultané. On trouve ce type de tâches dans les batteries TEA (Zimmermann & Fimm, 1994) et BAWL (Leclercq, 2004).

L’évaluation de l’attention divisée, sensu stricto, s’effectue à partir du paradigme suivant : dans un premier temps, on soumet le sujet à deux tâches mais ce, de manière isolée (tâche unique) ; après quoi, on le soumet une nouvelle fois aux mêmes tâches mais qu’il doit cette fois mener simultanément (double tâche). La performance dans cette condition sera ensuite comparée à celles obtenues à chacune des tâches menées isolément. Cette procédure permet non seulement d’analyser le degré d’interférence inter-tâches mais également de vérifier si le sujet n’a pas privilégié une tâche au détriment de l’autre. Des consignes explicites allant dans ce sens permettent d’ailleurs d’apprécier la capacité du sujet à allouer spécifiquement son attention sur une tâche plutôt qu’une autre.

Il existe relativement peu d’épreuves de double tâche standardisées, normées et utilisables en pratique courante. Nous en avons repéré trois. Tout d’abord, celle préconisée par Robertson & al. (1994) dans leur batterie TEA. Il s’agit d’une épreuve de barrage de paires de symboles sur un protocole simulant les pages d’un annuaire téléphonique, activité de repérage qui sera ensuite associée au dénombrement de sons au sein de séquences préenregistrées. Dans l’épreuve de Baddeley & al. (1997), une tâche de cochage d’un ensemble de petits carrés disséminés sur une page mais reliés entre eux pour indiquer au sujet le trajet à suivre sera ensuite associée à une épreuve d’empan de chiffres dont la longueur des séries aura été préalablement déterminée pour chacun des sujets. Enfin, dans la batterie BAWL, Leclercq (2004) propose l’association d’un TR double binaire avec, ici également, une tâche d’empan dont la longueur est spécifique au sujet.

 

6. Supervision, stratégies et flexibilité

En se référant au modèle de van Zomeren & Brouwer (1994) repris à la figure 1, on constate que l’ensemble des composantes attentionnelles que nous venons de passer en revue sont elles-mêmes sous le contrôle d’entités plus englobantes et dont dépendra leur efficacité, à savoir : un système de supervision attentionnelle, les stratégies déployées par le sujet et enfin, la flexibilité. La supervision attentionnelle renvoie au modèle proposé par Norman & Shallice (1986) et intervient principalement lors de l’élaboration de comportements complexes orientés vers un but. L’efficience attentionnelle du sujet dépendra également des stratégies spécifiques qu’il mettra en place dans certaines situations: celles-ci peuvent être externes (p.ex., couleurs vives captant l’attention, typographie de grande taille, etc.) mais également internes (ex : faire particulièrement attention à tel endroit d’un trajet où les accidents sont fréquents, passer rapidement d’une tâche à l’autre plutôt que de les mener simultanément, etc.). Enfin, la flexibilité est une fonction complexe qui elle-même comprend différents aspects (pour une analyse détaillée : Zimmermann & Leclercq, 2002). « La flexibilité cognitive renvoie à la capacité à réorienter les contenus de pensée et l’action afin d’être à même de percevoir, traiter et réagir aux situations de différentes manières » (Eslinger & Grattan, 1993). Cliniquement, un manque de flexibilité se manifestera par la présence de comportements persévérateurs et, de manière générale, par un manque de souplesse mentale. Au vu de ce qui précède, le lecteur se rendra compte de l’importance de ce paramètre tant pour orienter correctement le faisceau attentionnel sur les éléments pertinents (focalisation et sélectivité) et le réorienter en fonction des contingences propres à la tâche ou du résultat des traitements déjà effectués, que pour passer aisément d’un type de stimuli à l’autre (alerte et monitoring simultané), tout comme d’une tâche à une autre (tâches multiples). La flexibilité interviendra également lors du passage d’un type de registre (changement de but) ou d’opération cognitive (changement de programme d’action, de stratégie) à l’autre.

Bien qu’à un niveau relativement élémentaire, différentes épreuves permettent l’évaluation de la flexibilité. Tout d’abord, le Trail Making Test (Reitan, 1971) dans lequel le sujet doit relier des nombres et des lettres en alternant les deux types de stimuli dans leur succession ascendante. Dans ce type de tâche le sujet doit constamment alterner deux activités fortement automatisées : le comptage et l’énonciation de l’alphabet. C’est également le cas dans le subtest « Visual Elevator » de la batterie TEA de Robertson & al. (1994), épreuve dans laquelle le sujet doit alterner cette fois entre le comptage et le décomptage. Dans le subtest « Flexibilité » de la batterie TEA (Zimmermann & Fimm, 1994), une lettre et un chiffre apparaissent simultanément à l’écran. Le sujet a pour tâche d’actionner la touche réponse située du même côté que la cible, à savoir alternativement la lettre puis le chiffre et ainsi de suite, l’endroit d’apparition des cibles étant fixé dans un ordre pseudo-aléatoire. Enfin, le paradigme bien connu de déplacements internes (« covert ») de l’attention élaboré par Posner & al. (1978) permettra d’apprécier la flexibilité et la souplesse avec laquelle le sujet est à même de réorienter son foyer attentionnel en fonction des exigences de la tâche. Plusieurs batteries informatisées ( TEA : Zimmermann & Fimm, 1994 ; Zorglub : Seron & al., 1985 ; BrainScan : Coyette & al., 1994) reprennent ce type de paradigme.

 

7. Les échelles d’observation et d’auto-évaluation

Certains déficits attentionnels ne se manifesteront qu’au sein de contextes de vie complexes ou au cours de périodes nettement plus longues que celle propre à une investigation psychométrique. Aussi a-t-on vu se développer différents outils qui constituent une source précieuse d’informations complémentaires aux observations recueillies au cours des investigations classiques.

Le « Cognitive Failures Questionnaire » (CFQ) de Broadbent & al. (1982) consiste en une échelle d’auto-évaluation portant sur les sphères mnésique et attentionnelle. Cette échelle est composée de 25 items dont les auteurs ont pu démontrer qu’ils étaient significativement corrélés entre eux, témoin d’un bon degré de consistance interne. Les auteurs ont également mis en évidence l’existence d’une corrélation significative entre les scores en auto-évaluation et les scores correspondant à l’évaluation du même sujet par ses proches.

L’Echelle des Difficultés Cognitives de McNair & Kahn (1983) s’adressait au départ à des personnes âgées. Poitrenaud & al. (1997) en ont développé une forme abrégée et en langue française qu’ils ont soumise à trois groupes : 97 sujets jeunes et 143 sujets âgés sains, ainsi que 221 sujets âgés présentant des déficits cognitifs. Ils ont pu montrer que 12 des 24 items que comprend cet outil sont fortement saturés d’un facteur libellé « Difficultés d’attention-concentration ». Cette échelle permet une première approche des plaintes et l’estimation de l’importance relative des difficultés propres à l’attention, comparativement aux plaintes exprimées dans le domaine de la mémoire et l’orientation.

Ponsford & Kinsella (1991) ont élaboré une échelle comportementale comprenant 14 items dont le libellé est à la fois simple et univoque (ex : « Incapable de porter son attention sur plus d’une chose à la fois »). La cotation s’effectue sur un gradient de fréquence d’apparition à cinq échelons : de « Jamais » à « Toujours ». Les observations recueillies portent sur la plupart des composantes attentionnelles que nous avons abordées : lenteur, alerte tonique et phasique, vigilance, attention sélective et divisée. Il existe une adaptation –y compris en langue française- de cette échelle (Leclercq & al., 2002), adaptation qui comprend trois versions (évaluation par le sujet lui-même, l’un de ses proches et l’un de ses thérapeutes) et avec laquelle ont pu être mis en évidence des profils spécifiques en termes de fréquence de plaintes d’une part, de l’ampleur des troubles en fonction de l’étiologie (traumatisme crânien vs accident vasculaire cérébral) de l’affection neurologique et enfin, de la source (patient, proche ou thérapeute) d’où émanent les données d’observation.

 

III. Conclusion

 

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2 réflexions sur “Investigations neuropsychologiques des fonctions attentionnelles”

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