Favoriser la communication avec les aphasiques sévères (3)

 

 

7. Que contiendra le carnet de base et comment sera-t-il organisé?

Le projet de réaliser des carnets de base informatisés et imprimables impose que soient prises certaines décisions sur ce que doit contenir le carnet de base et sur l’organisation de ces informations.

À la première question, il est aujourd’hui difficile de répondre de manière univoque. Dans la mesure où une large partie des carnets de base doit être, par définition, identique pour tous les patients et dans la mesure où au moins certains patients seront (malheureusement) conduits à utiliser un carnet à long terme dans leur milieu de vie, la décision la plus logique est d’y intégrer le plus d’informations possibles. Ainsi, le carnet que s’appropriera en définitive le patient est a priori plus amené à diminuer de volume qu’à augmenter.

Les décisions prises quant à l’organisation sont évidemment assez arbitraires et motivées par des raisons purement pratiques (voyez les suggestions faites pour le saccc et le C.com).

Dans la mesure où il est grandement souhaitable que le carnet soit considéré comme un outil de communication parmi d’autres plutôt que comme une finalité en soi du travail de l’orthophoniste et dans la mesure où une rééducation à l’usage des pantomimes par exemple a plus de chances d’aboutir pour les verbes d’action que pour les objets, les verbes peuvent à dessein être sous-représentés dans les carnets de base.

8. Comment apprendre l’organisation du carnet de base au patient?

Il ne suffit en effet certainement pas de fournir un outil tel qu’un carnet au patient pour qu’il soit utilisé. Une part essentielle du travail devra être réalisée au quotidien auprès des familles et de l’entourage médical (pour le patient encore hospitalisé) afin de les impliquer dans le projet, les inciter à utiliser eux-mêmes le carnet et leur montrer comment le carnet peut les aider à transformer des échecs de communication en réussites.

Cependant, tout cela est encore insuffisant. En effet, pour que le patient utilise son carnet de façon efficace, il est indispensable de lui en apprendre l’organisation. Au Centre Neurologique William Lennox, chaque logopède (orthophoniste) a toujours avec lui un carnet de base qui est proposé et utilisé chaque fois que l’occasion se présente (en conversation, en séance de PACE (Davis et Wilcox, 1985), en cas d’échec en dénomination …). Le personnel soignant est également invité à s’en servir. Il dispose également d’un stock de photographies de plus grande taille dont il se sert pour composer des carnets réduits (ou « Pré-carnets ») destinés aux besoins et soins quotidiens avec certains patients dès la phase d’éveil de coma.

Enfin, il paraît logique de faire porter des exercices sémantiques de désignation, de recherche d’intrus, de catégorisation, d’appariement d’images (par identité physique ou nominale, par le contexte ou la fonction) …, lesquels sont traditionnellement réalisés en séance d’orthophonie, sur les images et les planches du carnet de base du patient.

9. Bibliographie

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Cubelli, R.,Trentini, P., & Montagna, C.G. (1991) Re-education of gestural communication in a case of chronic global aphasia and limb apraxia. Cognitive Neuropsychology, 8, 369-380.

Davis, G.A., & Wilcox, J.M. (1985) Adult aphasia rehabilitation. Applied Pragmatics. Winsdor, Berks, NFER-Nelson.

Degiovani, R. Des mots au monde: pour une intervention orthophonique renouvelée auprès des personnes aphasiques.

Dessy, M.L, Jacquemin, A., de Partz, M.P., Van Ruymbeke-Raison, A.M., Coyette, F., & Seron, X. (1989) La P.A.C.E. : son utilisation, ses extensions et proposition d’une nouvelle grille d’évaluation. Glossa, 13, 12-23.

Fréderix, M. (1999) La communication augmentative pour et avec les aphasiques sévères. Actes de la 3ème conférence PRE-ISAAC francophone, Bruxelles.

Funnel, E., & Allport, A. (1989) Symbolically speaking : communicating with Blissymbols in aphasia. Aphasiology, 3, 279-300.

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Rod-Metraux, A.F. (1996) Recherche clinique sur l’introduction d’un support de communication. Aphasie und verwandte gebiete, 9, 14-46

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Van Mourik, M., Verschaeve, M., Boon, P., Paquier, P., & Van Harskamp, F. (1992) Cognition in global aphasia : Indicators for therapy. Aphasiology, 6, 491-499

Weinrich, M., Steele, R.D., Kleczwska, M.K., Carlson, G.S., Baker, E., & Wertz, R.T. (1989) Representation of ‘verbs’ in a computarized visual communication system. Aphasiology, 3, 501-512.

Weinrich, M., McCall, D., Weber, C., Thomas, K., & Thornburg, L. (1995) Training on an iconic communication system for severe aphasia can improve natural language production. Aphasiology, 9, 343-364.

N’oubliez pas non plus de suivre ces quelques conseils pratiques pour vous aider à communiquer avec une personne aphasique.

 



Qu’est-ce que l’aphasie et qui sont les aphasiques ?



Si l’on pose la question dans la rue, il y a fort à parier que la majorité des gens répondront qu’ils n’en savent rien ou pas grand chose. Et pourtant, en réalité, une personne sur 250 souffre d’aphasie.

Pourquoi dès lors cette « maladie » est-elle si méconnue du public ?
Sans doute justement parce que l’aphasie acquise de l’adulte est une perte partielle ou totale des capacités à formuler et/ou à interpréter les mots et les phrases, et cela en modalité orale et/ou en modalité écrite. Les déficits peuvent même aller jusqu’à une altération des capacités à s’exprimer de manière non verbale, par les gestes, les mimiques ou le dessin. Certains malades présentent d’ailleurs aussi des déficits moteurs, comme une paralysie d’une jambe et d’un bras. Et tout cela sans que la pensée elle-même soit déficitaire !
Il faut bien comprendre que ces difficultés de langage surviennent de manière abrupte, suite à un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien par exemple, chez des personnes qui, quelques instants auparavant, s’exprimaient tout à fait correctement. Quoi d’étonnant alors à ce que cette maladie conduise souvent, non seulement à des bouleversements socio-familiaux et professionnels, mais aussi à un isolement ou à un repli sur soi. D’autant que les aphasiques sont fréquemment pris pour ce qu’ils ne sont pas. Ils ne sont pas sourds mais peuvent être pris pour tels. Ce ne sont pas des ivrognes, mais leur démarche peut conduire les autres à le penser. Si l’aphasie n’est en rien un trouble intellectuel ou une maladie mentale, leurs propos peuvent parfois être interprétés comme le signe d’une « folie » ou d’une « démence ». Ainsi, un des signes les plus fréquents de l’aphasie est une difficulté à accéder au mot. Il nous arrive à tous de commettre un lapsus verbal (« je voudrais une tranche de vin »), d’avoir un mot sur le bout de la langue mais de ne pas y arriver, de dire un mot pour un autre (« il fait froid, fermez la porte » alors qu’à l’évidence on souhaite que la fenêtre soit fermée). Il nous arrive à tous d’inverser des syllabes ou des mots dans nos phrases. Ces erreurs sont irritantes pour nous mais elles ne sont qu’occasionnelles, passagères et aisément corrigées. Pour l’aphasique au contraire, ces erreurs peuvent être une sorte de généralité.

Un autre aspect particulier de cette maladie est que son nom est loin de définir ce dont souffrent les aphasiques. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il a la grippe, on a une assez bonne idée de ce que sont ses problèmes. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est aphasique, on peut savoir qu’il a des troubles du langage mais on ne sait rien de précis. On peut éventuellement se servir des noms des quelques grandes catégories d’aphasie comme « c’est une aphasie de Broca, de Wernicke etc ». Mais, même alors, on ne sait pas grand chose de ce dont souffre la personne. Car, en réalité, il n’y a sans doute pas deux aphasiques strictement identiques, et ce tant du point de vue des troubles que de leur intensité.

Enfin, à moins d’être de très courte durée, l’aphasie n’est pas une maladie passagère. Il y a toujours une évolution lentement positive mais il n’existe pas de facteurs ou de conjonctions de facteurs qui suffisent vraiment pour prédire cette évolution avec certitude. Discourir sur l’aphasie est une chose mais parler d’un aphasique revient toujours à dire ce qu’il est, lui et aucun autre, à un moment précis de son évolution. Accompagner une personne aphasique, que ce soit en tant qu’orthophoniste, infirmier, médecin ou, peut-être plus encore en tant que famille, c’est admettre que l’on ne se situe probablement pas dans une perspective de guérison totale. C’est admettre par avance que TOUT ne redeviendra peut-être pas comme avant. Et cela tout en faisant ce qui est possible pour faire jaillir les progrès. Etre aphasique et côtoyer un aphasique, c’est, avant toute autre chose, se mettre dans une perspective de défi, de refus de s’incliner.

Bill, Monique et Anne (mai 2005)

4 réflexions sur “Favoriser la communication avec les aphasiques sévères (3)”

  1. Ping : Favoriser la communication avec les aphasiques sévères (2) | Pontt

  2. Bonjour,

    je viens de découvrir ce site, et j’y reviendrai………………..Confrontée à l’aphasie de ma maman qui a fait un AVC………………..;Je cherche et je  m’interroge sur les moyens qui
    permettraient de faciliter la communication. Les mots sont là, mais ils se bousculent, ils nous bousculent aussi.

    L’ortophoniste nous conseille de préférer le langage non verbal, mais instinctivement , il me semble qu’au geste, il ya quand même besoin d’y adjoindre le mot .

    Un cahier de communication  Oui , mais comment commencer?

    En tout cas merci pour ce site , qui va me permettre de butiner un peu.

    Elise

  3. A méditer

    Voici deux paraboles extraites quasi mot à mot du livre « Maktub » de Paulo Coelho (Editions Anne Carrière, 2004, http://www.anne-carriere.fr).
    Pour chacune, j’ai imaginé être le voyageur non aphasique, l’autre personnage étant supposé aphasique.

    Le voyageur, qui venait d’assister à la messe, était assis, tout seul. Soudain, un ami l’aborda : « J’ai grand besoin de vous parler. »
    Le voyageur vit dans cette rencontre un signe, et il en fut si enthousiasmé qu’il se mit à parler de tout ce qu’il jugeait important : les bénédictions de Dieu, l’amour – et il expliqua à son ami qu’il était un signe envoyé par son ange, puisque quelques instants auparavant il se sentait seul alors qu’à présent il avait de la compagnie.
    L’ami l’écouta en silence, le remercia, puis s’en alla.
    Le voyageur perdit alors sa joie et se sentit plus solitaire que jamais. Plus tard, il se rendit compte que, dans son enthousiasme, il n’avait prêté aucune attention à la demande de son ami.
    Il baissa les yeux au sol et il vit ses mots jetés au beau milieu de la rue, parce que l’univers, à ce moment-là, souhaitait autre chose.

    Au cours de l’hiver de 1981, en se promenant avec sa femme dans les rues de Prague, le voyageur remarque un homme qui dessine les bâtiments alentour.
    Il apprécie l’un de ses dessins et décide de l’acheter. Quand il lui tend son argent, il constate que l’homme ne porte pas de gants, malgré une température de – 5°C.
    « Pourquoi ne portez-vous pas de gants ? demande t-il.
    – Pour pouvoir tenir mon crayon. »
    Ils discutent un peu de Prague, puis l’homme propose de faire le portrait de la femme du voyageur, gratuitement.
    Tandis qu’il attend que le dessin soit terminé, le voyageur se rend compte qu’il s’est passé quelque chose d’étrange ; il a bavardé avec cet homme pendant presque cinq minutes sans que l’un parle la langue de l’autre. Ils n’ont eu recours qu’à des gestes, des rires, des mimiques ; mais la volonté de partager leur a permis d’entrer dans le monde du langage sans paroles.
    —————————————————————————————–
    Mots perdus

    J’ai cassé
    Les mots
    Comme un miroir
    En mille morceaux
    J’ai plus rien
    Que des bouts
    Dans ma bouche
    Comme des cailloux
    Et je suis
    À bout
    À bout de tout
    De silence
    Et surtout
    De ces yeux
    Qui me fuient partout
    Il y a comme un casse-tête
    Éclaté dans ma tête
    Et les mots sont perdus
    Et les mots sont perdus
    Il y a cent mille trous de mémoire
    Dans ma nuit noire, noire
    Et les mots sont perdus
    Rendez-moi
    Les mots
    Les mots jolis
    De tous les jours
    Mot à mot
    S’il le faut
    J’en ferai
    Que des mots d’amour
    Il y a comme un casse-tête
    Éclaté dans ma tête
    Et les mots sont perdus
    Et les mots sont perdus
    Il y a cent mille trous de mémoire
    Dans ma nuit noire, noire
    Et les mots sont perdus

    Sylvain Lelièvre
    http://www.chezsylvie.net/mots_perdus.htm
    —————————————————————————————
    Parfois, il faut rester silencieux pour être entendu.
    —————————————————————————————
    – Michel, tu mélanges tout ! Serais-tu mélangé par hasard ? Tu
    sais, être mélangé c’est tout de même moins grave qu’être dérangé.
    La peinture appartient à son monde et son monde n’est pas celui de
    l’écriture.
    C’est pourtant simple !
    Regarde autour de toi, Michel. Cela saute aux yeux !
    Tout est séparé et tout un monde sépare l’écriture et la peinture de
    ce que tu vois autour de toi.
    Il faut te faire à l’idée.
    Cela va encore bien plus loin. Prends seulement la peinture. Ce
    n’est pas pour rien s’il existe dans notre vocabulaire des mots tels
    que… barbouillage, peinture, oeuvre d’art et chef-d’oeuvre.
    Vois-tu où je veux en venir ? J’espère qu’il ne sera pas nécessaire
    de te faire un dessin !
    On n’a pas le droit de tout mélanger. Chaque discipline a ses
    propres règles, tu sais. Il faut les suivre à la lettre si tu ne
    veux pas te taper le nez dessus.
    On ne t’avait pas mis au courant ?
    Prenons une situation typique, ordinaire, banale même: un homme et
    une femme se parlent. Ils sont dans un bar. Sont-ils assis ? Sont-
    ils debout ? Où est ce bar ? Comment est-il ? Il faut écrire sur
    lui. Il faut le dépeindre. C’est important. Une atmosphère, de la
    musique et des gens. Il faut installer une atmosphère, entendre de
    la musique, palper la chaleur des corps, des coeurs et des culs,
    sentir l’odeur des hormones. Ca prend des lignes et des lignes de
    couleurs comme d’écriture pour représenter tout cela, Michel. C’est
    important si on veut avoir l’impression d’y être !
    – Et ce qu’ils se disent ?
    – Des mots, seulement des mots, Michel ! L’important est ailleurs.
    D’ailleurs, je te l’ai dit ce qui était important : Avoir
    l’impression d’être là, nous aussi ! Pouvoir nous mettre à leurs
    places.
    – Et ce qu’ils se disent ?
    – Souvent, sur quelques pages, ce qu’ils diront ne prendra que
    quelques lignes.
    Les paragraphes consacrés à ce qu’ils ont derrière la tête, à leurs
    états d’âme et à leurs histoires sont bien plus intéressants. Ce
    que l’on ne dit pas tout haut est bien plus savoureux.
    – Et en peinture ?
    – Un sourire pour l’homme, un air ennuyé pour la femme ! On devine
    le reste.
    – Et le reste n’est pas important !
    – Non, Michel. Le reste est une question d’imagination. Tu dois
    leur inventer une histoire.

    Ce texte est emprunté à :
    http://www3.sympatico.ca/fran.pi.mi.fox/Sans-Titre/Annexe01.htm
    ——————————————————————————————–
    Si tu veux que quelqu’un n’existe plus, cesse de le regarder.
    Proverbe arabe
    ———————————————————————————————
    Si le coeur ne contemple pas, l’oeil ne verra pas.
    Proverbe caucasien
    ——————————————————————————————–
    L’échec n’entache pas la sincérité de la tentative.
    Paul Auster

  4. coucou,

    une documentation sur l’aphasie congenitale ou incident de naissance?

    Dans le centre où j’ai bossé, il y a 19 ans, on creeait des moulages au corps  ( via ergo et prothesisite) pour les imc assortis de tablette, et sur cette tablette, on collait via films transparents, des images d’activites du jour et d’hygiene, afin que l’enfant montre ou s’appuie dessus pour ses besoins, ou ses choix. Cela permettait aussi de leur faire dessiner sur le visage les emotions et d’y porter des mots, de les rendre acteurs dans le quotidien par le choix au sein d’une activité, ou de choisir leur menu, d’avoir des reperes de temps sur la journée, et de rendre compte aux mamans plus facilement. Le seul truc qui nous a manqué, c’est la presence d’orthophonistes, dans une explication claire de ce qui declenche le son. On aurait pu je pense user de la plasticité du cerveau pour arriver à faire parler, ou du moins essayer de captiver les enfants sans parole lors des seances de verticalisation.
    Si qqun a des infos, ou une approche plus aigue de l’aphasie de naissance, je suis preneuse. merci

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