EFFETS DE LA CONCRETUDE DES MOTS SUITE A UNE LESION CEREBRALE : LES INTERPRETATIONS. (5)
L’EFFET DE CONCRETUDE INVERSE (patient DM)
Nous avons vu diverses théories qui cherchent à rendre compte de l’avantage des mots concrets sur les mots abstraits. Seule celle de Plaut et Shallice fait référence à la possibilité d’un effet inverse, et encore dans le domaine spécifique de la lecture. Pour l’essentiel, chacune des théories avancées attribue un avantage QUANTITATIF aux mots concrets qui ont l’opportunité d’un codage additionnel non verbal (double codage), qui sont plus familiers ou qui possèdent déjà des « contextes cognitifs » ou des propriétés indépendantes du contexte (hypothèse de disponibilité contextuelle), ou encore qui ont plus de traits sémantiques que les mots abstraits (théorie adoptée et adaptée par Plaut et Shallice).
Selon Breedin et al. (1994), prises telles quelles, aucune de ces théories ne permet d’envisager un effet inverse. La perte d’un codage non verbal ou des contextes cognitifs rendrait les structures sémantiques des mots abstraits et concrets équivalentes, mais les mots concrets ne pourraient cependant pas être pour autant plus difficiles à comprendre que les mots abstraits. Il serait tout aussi difficile d’expliquer pourquoi des significations plus familières deviendraient plus vulnérables après une lésion cérébrale. Et de même, on voit mal comment une altération du système de traitement des mots pourrait conduire à de meilleures performances pour les items qui ont moins de traits sémantiques (sauf peut-être dans la théorie connexionniste de Plaut et Shallice, pour autant que celle-ci puisse être appliquée à d’autres tâches que la lecture).
Toujours selon Breedin et al., pour rendre compte de ces cas où un effet de concrétude inversé est noté suite à une altération des représentations sémantiques elles-mêmes, il est nécessaire de considérer certaines différences QUALITATIVES entre les mots concrets et abstraits. Ainsi, il semble que les attributs perceptuels (ou, plus généralement, sensori-moteurs – voir l’étude de cas) ont une importance particulière dans les représentations des mots concrets ET que l’altération de ces attributs du sens est centrale dans l’origine du trouble fonctionnels de ces patients. DM aurait donc subi une perte plus importante des aspects perceptuels de la signification des mots que des aspects non perceptuels. Ceci pourrait s’expliquer si l’on admet que les connaissances sémantiques sont distribuées dans des domaines distincts selon qu’elles sont liées aux expériences qui leur ont donné naissance (acoustiques, visuelles, kinesthésiques pour le mot « téléphone » par exemple) ou qu’elles sont de nature fonctionnelle ou factuelle et acquises dans le contexte de la langue (comme celles sous-jacentes à l’interprétation du mot « destinée » par exemple et de certains aspects du sens du mot « téléphone »).
Les localisations anatomiques des lésions cérébrales de DM et des autres patients qui ont été décrits comme présentant un effet de concrétude inversé conduisent les auteurs à proposer que les aspects perceptuels des significations des mots sont stockées dans les régions antérieures des cortex temporaux inférieurs (à l’interface entre perception et langage). Ils émettent dès lors l’hypothèse qu’un effet de concrétude inversé en compréhension de mots ne devrait apparaître qu’après lésion bilatérale des lobes temporaux (comme en cas d’encéphalite herpétique).
Bref, Breedin et al. mettent l’accent sur des différences qualitatives entre les représentations sémantiques des mots concrets et abstraits et, compte tenu de ces élaborations, il nous semble qu’ils favorisent une hypothèse de double codage sans exclure la validité potentielle des autres théories.
Nous verrons brièvement, dans un message ultérieur, que cette idée a été reprise explicitement par la suite.
Il restera aussi à vous envoyer la bibliographie de cette revue sur un thème qui est loin d’être pour autant clôturé. D’autant que cette revue ne fait pas référence aux articles parus dans les toutes dernières années.
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