Buffer graphémique 3

Le buffer graphémique et ses altérations (3)

Implication du buffer graphémique dans la lecture

 

A l’origine, il avait été suggéré que le buffer graphémique était une mémoire de travail uniquement impliquée en production écrite. Caramazza et al. (1996) ont argumenté par la suite que cette composante pourrait également jouer un rôle lors de la lecture ; elle interviendrait alors au moment de la dernière phase de l’analyse visuelle juste avant les processus lexicaux d’entrée ou les conversions graphèmes-phonèmes : la représentation graphémique serait maintenue dans le buffer graphémique et servirait d’entrée aux processus de reconnaissance des mots, les difficultés devant donc déjà apparaître en tâches de décision lexicale écrite. Et ceci surtout si les logatomes proposés ressemblent aux erreurs commises en écriture par le patient.

Les auteurs appuient leur hypothèse par la description des performances en lecture de deux patients, NG (Caramazza & Hillis, 1990, cités dans Caramazza et al, 1996) et LB (Caramazza, Miceli, Silveri & Laudanna, 1985, cités dans Caramazza et Miceli, 1996 ; Caramazza & al, 1987 ; Caramazza et Miceli, 1990), dont les résultats en production écrite indiquent qu’ils étaient atteints d’un déficit du buffer graphémique.

Les observations qu’ils ont pu effectuer incitent Caramazza et al. à suggérer qu’une altération du buffer graphémique devra nécessairement provoquer des déficits similaires en production écrite et en lecture. 

Selon eux, le pattern de performance en lecture consécutif à un tel trouble devra montrer une altération de la lecture des mots ainsi que des pseudo-mots.  Cependant, il est prévu que la lecture des mots soit mieux préservée.  En effet, une activation lexicale pourra venir rafraîchir la trace éventuellement imprécise de la représentation des mots, ce qui n’est pas possible pour les pseudo-mots.  Plus exactement, l’identité des mots familiers devrait pouvoir être devinée même si l’identité et la position de certains graphèmes est altérée. Par exemple, face au stimulus «éléphant », si le patient parvient à activer un début de représentation, soit « éléph…. », il existe une forte probabilité qu’il puisse retrouver le mot cible car aucun autre mot dans le lexique débutant par la même séquence de lettres ne pourra être retrouvé.  Par contre, lors de la lecture d’un pseudo-mot (ex : drantre), l’information de la première partie du mot (« dran… ») ne permettra pas de retrouver l’identité des dernières lettres du stimulus.

Les erreurs devront par ailleurs être similaires à celles observées en production écrite, à savoir des substitutions, omissions, ajouts et surtout des déplacements de lettres.  En effet, une dégradation des représentations contenues dans le buffer graphémique portera atteinte à l’information concernant la position des lettres ; l’ordre des lettres constituant un mot pourra donc être modifié et il s’ensuivra qu’un nombre significatif de déplacements de lettres devra être observé. 

Les auteurs ont pu mettre en évidence ce pattern de performances chez LB et NG, ce qui leur a permis de soutenir leur proposition selon laquelle un buffer graphémique commun est utilisé en production écrite ainsi qu’en lecture.

 

Caramazza et al. (1996) ont par ailleurs appuyé leur hypothèse en mentionnant  trois autres patients qui montraient un profil de performances en production écrite compatible avec un déficit du buffer graphémique (HR : Katz, 1991 ; AS : Jonsdottir et al, 1996, cités dans Caramazza et al, 1996 et MC : Tainturier & Caramazza, 1994, cités dans Caramazza et al, 1996).

Ces patients présentaient également d’importantes difficultés à lire les pseudo-mots ainsi que dans une moindre mesure, les mots.  Plus particulièrement le patient MC réalisait un certain nombre d’erreurs de déplacements de lettres ; par ailleurs, ses erreurs de lecture avaient tendance à apparaître au milieu des mots, comme c’était déjà le cas en production écrite.

Un cas présenté plus récemment semble également appuyer l’hypothèse de Caramazza et Miceli : il s’agit de la patiente LiB décrite par Cotelli et al. (2003).  En effet, LiB montre un pattern de résultats similaire en lecture et en production écrite : un effet de longueur pour les pseudo-mots est observé dans les deux cas et la majorité des erreurs consistent en des substitutions.  De plus, les auteurs ont constaté une dissociation entre la lecture de mots et la lecture de pseudo-mots (92 % de réponses correctes pour les mots contre 80 % pour les pseudo-mots).  Il apparaît également que ces erreurs de substitutions concernent majoritairement des voyelles et ce en lecture (84%) comme en production écrite (85%).   Il a déjà été démontré que la distinction voyelle/consonne constitue une des caractéristique de la nature des représentations dans le buffer graphémique (Caramazza et Miceli, 1990 ; McCloskey et al, 1994).  Le fait que l’on retrouve cette distinction dans les performances en orthographe ainsi qu’en lecture renforce l’hypothèse d’un buffer graphémique commun aux deux processus.

Cependant, il existe un élément dans le pattern de performance de LiB qui vient quelque peu perturber cette interprétation : LiB ne réalise en effet pratiquement aucune erreur de déplacement de lettres, que ce soit en lecture ou en production écrite. Or, comme Caramazza et al. (1996) l’avaient supposé, une atteinte du buffer graphémique devrait altérer l’information concernant l’ordre des lettres dans un mot ; on devrait dès lors s’attendre à observer ce genre d’erreurs.

 

Il existe dans la littérature deux autres cas de patients qui semblent être atteints d’un déficit des processus intervenant au niveau du  buffer graphémique pour ce qui concerne leur performance en production écrite, mais dont les résultats ne semblent pas compatibles avec l’hypothèse d’un buffer graphémique commun à la lecture et à la production écrite (SE : Posteraro et al, 1988 ; JH : Hanley & Kay, 1998).

En effet, SE ainsi que JH présentent tous deux une lecture de mots et de pseudo-mots parfaite.  Cependant il faut remarquer que ces deu
x patients réalisent également très peu d’erreurs de déplacements de lettres en production écrite (6% et 4% pour SE et JH, contre 20 % pour LB, le patient de Caramazza).  Hanley et Kay (1998) font remarquer par ailleurs que les performances en écriture sous dictée de mots de JH (85% de réponses correctes) et SE (73%) étaient supérieures à celles rapportées pour  AS (Jonsdottir et al, 1996) et LB (Caramazza & Miceli, 1990) qui ne réalisaient pas plus de 60 % de réponses correctes.  Hanley et Kay suggèrent donc que les patients qui ont des déficits en lecture de pseudo-mots et qui présentent des erreurs de déplacements de lettres en orthographe auraient des déficits en production écrite bien plus importants que les patients ne présentant pas de trouble de lecture de pseudo-mots ; ceci reflétant donc une atteinte plus sérieuse du buffer graphémique.  Selon ces auteurs, il est possible que les difficultés en lecture de pseudo-mots et les erreurs de déplacements de lettre en production écrite n’apparaissent que lorsque le déficit du buffer graphémique est suffisamment sévère. Par ailleurs, les erreurs de lecture pourraient être à la source même des erreurs de déplacement en écriture par une sorte de phénomène en boule de neige. En effet, les problèmes de lecture devraient empêcher le monitoring on-line des productions écrites, le patient ne reconnaissant alors pas ses erreurs.

 

Enfin, Schiller et al. (2001) ont émis l’hypothèse selon laquelle seuls les patients qui souffrent d’un niveau d’activation réduit au sein du système lexical (ceux qui commettent l’essentiel des erreurs au centre des productions écrites – type 1, voir plus haut) présentent des déficits de lecture. Ceux qui souffrent d’une décroissance rapide des informations dans le buffer graphémique (les erreurs augmentent linéairement du début à la fin des cibles – type 2) ne présenteraient pas de difficultés en lecture car, la lecture étant une activité qui se fait en parallèle (non séquentiellement) et rapidement (contrairement à l’écriture qui est lente et séquentielle), la chute temporelle des informations au sein du buffer n’est pas assez rapide pour avoir un effet sur la lecture.

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