Le dessin : Sa contribution à la dénomination dans l’aphasie

Drawing : Its contribution to naming in aphasia

Dana Farias, Christine Davis, Gregory Harrington
Brain and Language, 2006, 97, 53-63

Dans le domaine de l’aphasie, il existe une variété de stratégies compensatoires qui permettent la communication et qui peuvent être utilisées aussi bien en séance qu’en dehors. Ces stratégies sont généralement multi-modales et peuvent inclure l’écriture, la gestualité et le dessin. En raison de son caractère non linguistique, le dessin est donc souvent utilisé comme substitut de la parole ou pour augmenter la communication quand les autres modalités ne sont pas fonctionnelles.

Les auteurs de cet article avancent l’idée selon laquelle le dessin pourrait en outre améliorer la production de mots en offrant une route alternative d’accès au système sémantique. Dessiner pourrait, selon Farias & coll., être considéré comme une intervention non linguistique qui donne accès aux connaissances sémantiques dans l’hémisphère droit. En effet, le dessin attire l’attention du sujet sur la structure et les aspects perceptuels de l’objet, ce qui a pour effet d’éliminer les compétiteurs sémantiques qui n’ont pas les attributs appropriés. Il facilite ainsi le traitement sémantique. De plus, le dessin implique l’analyse spatiale et l’imagerie, tous deux activant l’hémisphère droit qui demeure intact chez la plupart des sujets aphasiques.

Trois hypothèses sont testées dans cette étude à l’aide de deux expériences.

La première hypothèse est que le dessin, comparé à l’écriture, favorise la dénomination chez des sujets aphasiques.

La seconde est qu’un dessin détaillé (de bonne qualité), reflétant un meilleur accès aux représentations sémantiques, a dès lors de meilleures chances de faciliter la dénomination.

 Et la dernière hypothèse est que le dessin, au contraire de l’écriture, active l’hémisphère droit qui est épargné chez les sujets aphasiques.

La première expérience consiste en l’observation des effets de l’écriture et du dessin sur la dénomination d’un ensemble standardisé de 30 dessins. La ligne de base est réalisée par une première tâche de dénomination classique des images (temps accordé : 20 secondes). Une fois la ligne de base réalisée, les sujets sont invités à écrire le nom ou à dessiner l’image qui leur est montrée brièvement. La tâche de dessin se fait donc de mémoire ou en copie différée. Durant l’exécution, on leur demande de dire ce qu’ils écriventt ou dessinent afin d’induire une réponse verbale. Vingt-deux personnes ayant entre 44 et 78 ans, avec une lésion corticale gauche et une aphasie concomitante (12 aphasiques fluents et 10 non fluents) ont participé à cette expérience.

Les résultats indiquent qu’il y a plus de sujets qui présentent un effet de facilitation (dénomment plus d’images) par le dessin (n = 10) que par l’écriture (n = 6). Le fait d’écrire conduit par ailleurs 8 sujets à fournir moins de bonnes réponses qu’en condition de dénomination standard et cet effet inhibiteur n’apparaît que pour 4 sujets dans la condition de dessin. D’un point de vue qualitatif, on observe que la condition « dessin » produit plus d’erreurs liées sémantiquement à la cible et la condition « écrire le mot » produit un plus grand nombre de « non réponses ».

Ces résultats vont donc dans le sens de la première hypothèse émise. Les auteurs suggèrent alors que le dessin offre une méthode d’auto-indiçage sémantique. En effet, le dessin peut aider la personne à reconnaître les traits sémantiques de l’objet car il fait intervenir les aspects perceptifs et structuraux de l’objet. Et il permet ainsi de renforcer l’activation de sa forme phonologique au sein du lexique phonologique de sortie.

En ce qui concerne l’hypothèse concernant le lien entre la qualité du dessin et les représentations sémantiques, elle n’est pas confirmée. Il semblerait que le seul fait de dessiner, et non la qualité du dessin, soit un facteur d’activation du lexique phonologique de sortie.

La deuxième expérience cherche à déterminer s’il y a une différence au niveau de l’activation cérébrale lors du dessin et de l’écriture du mot. Un total de 30 images est utilisé, 15 pour le dessin et 15 pour les mots écrits. Neuf sujets sains doivent s’imaginer dessinant l’image ou écrivant le nom de l’image qui leur est présentée brièvement et, durant des tâches, une résonance magnétique nucléaire fonctionnelle (RMNf) est réalisée .

La tâche de simulation mentale sous RMNf montre une activation des aires corticales sensori-motrices comme lorsque l’action est réellement réalisée. Les deux hémisphères sont activés dans chaque tâche. La comparaison de l’activation cérébrale dans les deux conditions, dessin et écriture, indique que le dessin provoque une activation de l’hémisphère droit plus importante que lorsqu’il s’agit d’écrire mentalement le mot. Cette observation appuie la dernière hypothèse émise dans cette étude. Les données suggèrent que l’activation des régions de l’hémisphère droit homologues à celles de l’hémisphère gauche (activées lors de la dénomination d’images) pourrait fournir un support pour stimuler les habiletés de dénomination chez les sujets aphasiques. Le dessin contribuerait à la dénomination d’images en activant le réseau sémantique dans l’hémisphère droit et dans les aires périlésionnelles gauches intactes. Quant à la production écrite du mot, l’activité est latéralisée à gauche.

Cette étude permet de suggérer que le dessin facilite la dénomination. Comparé à la production écrite d’un même mot, le fait de dessiner le mot entraîne moins d’erreurs lors de la dénomination chez un certain nombre d’aphasiques. Ces performances en dénomination ne dépendraientt pas de la qualité du dessin. L’action même de dessiner, et non la qualité du dessin, serait importante pour l’activation du réseau sémantico – lexical lors de la dénomination.

Chez les individus fluents mais ayant des difficultés à trouver leurs mots, tels que les aphasiques anomiques, le dessin fournirait donc une stratégie d’auto-indiçage par un traitement systématique des caractéristiques visuelles de l’objet. Ces informations étant associées aux connaissances que les individus ont de cet objet, elles activeraient les représentations phonologiques nécessaires à la production du mot cible.

Pour finir, il semblerait que le dessin facilite la dénomination en augmentant le niveau d’activation sémantique dans l’hémisphère droit et dans les aires périlésionnelles intactes de l’hémisphère gauche.

Notons, pour terminer, qu’il nous semble que les interprétations données à cette première étude sont à considérer avec prudence. En particulier, les informations fournies dans l’article ne permettent pas de savoir si c’est bien le fait de dessiner qui sert d’amorçage sémantique ou si ce sont les productions verbales émises durant le dessin. Ainsi, les auteurs décrivent un patient qui, lorsqu’il dessine un avion, produit les noms des parties de l’avion. Ces productions servent à amorcer l’accès à la représentation phonologique du mot cible.

Quoiqu’il en soit des doutes que l’on peut avoir sur le rôle direct (ou indirect) de l’activité de dessin comme facilitateur de la dénomination, il n’en reste pas moins intéressant de se rendre compte du rôle d’auto-indiçage non linguistique qu’il peut induire chez certains aphasiques. Et, si vous avez des expériences, même totalement empiriques, de ce genre à partager, nous serions heureux de les lire.

Vinciane, Sandra et Bill

Brain and Language :

http://www.elsevier.com/locate/b&l

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