Aphasie transcorticale motrice ou dynamique 6

Déficit de planification pré-linguistique (Warren et al., 2003)

 

5. Déficit de la planification pré-linguistique. Défense de Warren et al.

Warren, Warren, Fox, et Warrington (2003) vont essentiellement tenter de démontrer que les résultats enregistrés par Robinson et al. (1998) peuvent aussi bien être interprétés à la manière de Costello et Warrington (1989).

Ils présentent le cas ADY, un aphasique dynamique âgé de 76 ans. Celui-ci est atteint d’une dégénérescence frontale bilatérale. Il échoue dans les tâches de fluence verbale, le contenu informatif de sa conversation est pauvre, il construit peu de phrases mais elles sont grammaticalement correctes, on n’observe aucune construction narrative et la description d’une scène est incomplète et hésitante.
Par contre, il ne produit pas de paraphasies, sa répétition est préservée ainsi que sa compréhension verbale et sa lecture.
Il écrit correctement sous dictée, mais est incapable de générer une phrase écrite spontanée.

L’étude expérimentale porte sur huit épreuves : six concernent le langage et deux la musique.

Dans la première expérience, ADY doit compléter soixante phrases par un mot. Trente d’entre elles prédisent largement le mot à mettre (ex. : « Le chat, contrairement au chien, voit très bien pendant la … »), tandis que les trente autres ont une très basse prédictibilité.
Les résultats montrent que ADY est très influencé par la variable «prédictibilité » puisqu’il produit le mot adéquat seulement quand lecontexte phrastique prédit largement ce mot. On voit donc le rôle majeur du contexte : quand le contexte prédit le mot, on se situe dans une situation de langage automatique qui n’exige pas la construction d’un message préverbal, tandis que lorsque le mot s’inscrit dans un contexte plus large où différentes possibilités sont envisagées, ADY doit construire une représentation préverbale pour sélectionner la réponse la plus adéquate. Cependant, si ces résultats peuvent s’interpréter comme un déficit de la génération d’un message pré verbal (hypothèse 1), ils peuvent tout aussi bien être considérés comme le résultat d’un trouble de la sélection lexicale (hypothèse 2 de Robinson et al).

Dans la deuxième expérience, les auteurs proposent des phrases dont la complétion est très ouverte (condition 1 : phrases à faible probabilité de réponse), des phrases qui peuvent être complétées par quelques mots potentiels sensés être en forte compétition au niveau de la sélection lexicale (condition 2, ex. : « La maman pèle pour son fils une autre … » où des mots comme poire, pomme, orange, banane sont aussi probables l’un que l’autre) et des phrases pour lesquelles un seul mot est possible (condition 3). L’hypothèse 1 prédit, selon les auteurs, de meilleures performances dans la condition 2 que dans la condition 1, alors que l’hypothèse 2 prédit des difficultés particulières dans la condition 2. Les résultats de ADY vont dans le sens de l’hypothèse 1. Il fournit en effet 20 réponses correctes en condition 3, 19 en condition 2 et 9 en condition 1.

Dans une troisième expérience, ADY doit compléter un début d’énoncé (ex : « Le magicien ». Dans la condition expérimentale 1, la complétion doit être réalisée sans indice, dans la condition 2, un indice est fourni (par exemple « lapin » dans l’exemple précédent).
Les temps de réponse sont mesurés.
La présence du mot-clef ne joue pas un rôle significatif dans les performances de ADY. De plus, le temps de réaction est similaire dans les deux conditions expérimentales. Or, selon les auteurs, si l’hypothèse 2 était correcte, ADY devrait être aidé dans la condition 2 qui réduit les alternatives possibles qui entrent en compétition à l’étape de sélection lexicale. Selon l’hypothèse 1, aucune différence n’est attendue puisque, dans les deux cas, il faut construire un message pré verbal.

Dans la quatrième expérience, ADY est invité à élaborer une phrase complexe au départ d’une phrase simple (ex. : « Les enfants écoutaient une histoire » pourrait donner « Les enfants écoutaient avec attention une histoire palpitante »). Comme on pouvait s’y attendre si le déficit était bien lié à une incapacité générer un nouvel output verbal, ADY obtenait un score médiocre de 2/15 à cette épreuve.

Warren et al. tentent alors de voir s’il y a des moyens pour faciliter la production et la construction d’un message chez le patient.
Cinq types de trames sont mis en place : produire une phrase à partir d’un nom présenté seul, trente dessins simples avec une action à décrire, produire un nouvel énoncé à partir d’un modèle verbal, décrire dix procédures simples, et enfin remettre des phrases dans le bon ordre.
Les performances de ADY sont hétérogènes en fonction du type de trame utilisé. En effet, si le mot est seul, ADY ne produit quasiment pas de phrases. Par contre, la description d’images est réussie, les données conceptuelles fournies permettant au patient de construire un message adéquat. De la même façon, la tâche d’anagramme est très bien réussie, ADY manipulant à bon escient les règles syntaxiques pour remettre les phrases dans le bon ordre.
Ainsi, il semble que ADY ait besoin de données conceptuelles suffisantes pour générer un nouveau message préverbal.

Afin de renforcer encore leur hypothèse d’un trouble de la conceptualisation du message verbal, Warren et al. proposent une tâche de traduction de l’allemand à l’anglais. Il faut préciser que ADY est bilingue. Cette tâche exige une réorganisation syntaxique et lexicale pour exprimer la même idée dans une autre langue.
Ils préparent trente phrases qu’ils organisent en quatre sets : les phrases à traduire sont en correspondance terme à terme au niveau syntaxique et lexical, les phrases ont une correspondance littérale pour le lexique mais pas pour l’ordre des mots, les phrases à traduire sont à modifier sur le plan lexical et syntaxique, et enfin, les phrases sont des expressions idiomatiques qui exigent un remaniement total du message pré-verbal.

Les résultats corroborent l’hypothèse des auteurs sur la nature du déficit : ADY ne parvient pas à traduire les phrases qui demandent une transformation lexicale et/ou syntaxique. Seules les conditions de traduction littérale sont possibles.

ADY aurait donc bien un déficit pour générer un nouveau message conceptuel. Et ce niveau de l’atteinte serait antérieur à la production verbale.

Warren et al. poursuivent leur expertise afin de déterminer si le déficit conceptuel est propre au niveau verbal ou s’étend à d’autres domaines tels que la musique.

ADY doit poursuivre une séquence musicale dont la suite est plus ou moins prédictible.
Or, contrairement à ses performances verbales, ADY n’est pas influencé par la variable « prédictibilité ».

Les auteurs proposent donc une autre tâche où ADY doit construire une séquence de notes simples.
Là aussi, ses performances musicales sont nettement supérieures au verbal. ADY est capable de générer un output musical même en l’absence de prédictibilité du contexte.

On observe donc une dissociation entre les capacités à produire un nouvel énoncé verbal et à produire un nouvel air musical.

Le cas ADY appuie plus l’hypothèse de Costello et Warrington, à savoir celle d’un déficit sélectif de la planification verbale puisque le patient ne parvient pas à compléter une phrase même quand on lui donne un mot-clef ou différentes alternatives, mais parvient à produire un énoncé adéquat quand on lui propose des trames conceptuelles.
Warren et al. montrent une autre dissociation importante, celle qui oppose la création d’un message verbal et d’un message musical : le système de règles à appliquer fait appel à deux niveaux cognitifs différents. En effet, le message pré-verbal a des contraintes sémantiques et syntaxiques, tandis que la contrainte musicale est indépendante du mode d’expression musicale, elle ne dépend ni d’un contexte ni d’un sens.

ADY aurait donc un déficit spécifique de la conceptualisation d’un message, lequel se manifesterait uniquement au niveau de la production verbale.

 

Référence :

Warren, J.D., Warren, J.E., Fox, N.C., & Warrington E. (2003). Nothing to say, something to sing: primary progressive dynamic
aphasia. Neurocase, 9, 140-155.

Neurocase :
http://www.tandf.co.uk/journals/titles/13554794.asp

Fabienne Bigouret et Michel Fréderix

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