Aphasie transcorticale motrice ou dynamique 5

Trouble de la sélection lexicale

 

4. Trouble de la sélection lexicale.

4.1. Robinson, Blair et Cipolotti (1998)

Robinson et al. étudient ANG, une patiente de 59 ans qui souffre d’un méningiome fronto-pariétal gauche. Suite à l’opération, elle a présenté de façon transitoire des troubles du langage typiques d’une aphasie dynamique pure. Il n’y avait aucun trouble de la compréhension, de la lecture, de la répétition, de la dénomination, pas d’erreurs grammaticales, pas de paraphasies phonémiques ou sémantiques. Son langage propositionnel spontané était cependant très pauvre. On notait que la patiente, contrairement à KC (Snowden et al., 1996) mais comme ROH (Costello et Warrington, 1998), n’éprouvait aucune difficulté à décrire des actions complexes comme au test du reporter. Elle était par contre incapable de fournir plus d’un synonyme pour des mots homophones d’autres mots (ex : compter, conter, conté).

ANG présentait aussi des troubles mnésiques et un important syndrome frontal : totale incapacité d’alterner lettres et chiffres au Trail Making test, latences extrêmes et nombreuses erreurs au test de Stroop, mauvaises estimations cognitives, problèmes d’inhibition verbale (incapacité à produire un mot non lié pour compléter une phrase de façon absurde), …

Une série d’expériences vont conduire les auteurs à situer le déficit de ANG au niveau des procédures contextuelles de sélection des réponses verbales. En effet ses résultats à ces expériences tendent à démontrer qu’elle n’est en difficulté que lorsque la génération d’une réponse verbale est induite par des stimuli qui activent plusieurs réponses potentiellement correctes.

T1. Génération d’un mot isolé pour compléter une phrase. Ses résultats dépendent du nombre de mots qui pourraient être émis : si de nombreuses alternatives sont possibles, elle est en échec, mais si peu de mots candidats sont possibles, alors ses résultats sont bons (ex : « les chiens ont un bon sens de … »).
T2. Génération d’une proposition pour en compléter une autre. Comme ROH, ANG est en échec : 3/20 (12 non réponses et 5 complétions par un mot isolé).

T3. Génération d’une phrase au départ :
A) D’un mot isolé : 2/15 et encore, avec des temps de latence très élevés.
B) D’une autre phrase : 3/20 (8 non réponses, 7 complétions sans nouvelle phrase – ex : Le piano est désaccordé > mais pas trop -, 2 complétions par un mot isolé).
C) De la photo d’un objet isolé : 0/6.
D) D’une scène visuelle à décrire : 34/34.
E) D’une scène à compléter (Que va-t-il se passer après ? et on présente par exemple l’image d’une fille qui fait du patin à glace) : 3/20.
F) D’un nom propre qui est supposé activer une réponse dominante (ex : Hitler) ou d’un nom commun, lequel n’est pas supposé activer une réponse privilégiée : 26/28 et avec des latences normales versus 11/28 dont 8 avec une latence élevée.
G) D’une autre phrase avec haute (ex : L’homme entre dans un cinéma) ou faible prédictibilité de réponse (ex : L’homme entre dans la maison) : 9/12 versus 3/12.
H) D’une paire de mots fortement associés (ex : beurre et pain) ou faiblement associés (ex : beurre et salade), les deux listes étant équilibrées au niveau de l’imageabilité des mots : 22 versus 4/30.

T4. Génération d’une histoire à partir d’un contexte pictural (ex : Un médecin qui fait une injection à un enfant) : 0/5.

T5. Construction d’une phrase à partir de mots écrits sur des cartons séparés (3 à 7 mots) : 14/15 et ANG est rapide.

Enfin, on notera que ANG présente de très mauvais résultats aux tâches de fluence verbale suscitée sauf si la catégorie sémantique proposée comporte peu d’exemplaires (par exemple, les livres de la bible).

Tout comme Costello et Warrington l’avaient fait pour ROH et pour des raisons identiques, Robinson et al. rejettent l’hypothèse interprétative de Luria.
Mais, sur base des résultats corrects de ANG au T5 (ROH y était fortement déficitaire), les auteurs concluent qu’il est capable de générer une hypothèse verbale ou un plan d’action pour construire une phrase. Ils rejettent donc l’hypothèse d’un trouble pré-linguistique. Par ailleurs, ils disent avoir du mal à voir comment cette interprétation pourrait rendre compte ou prédire les effets liés au nombre de candidats possibles à la réponse.

Leur interprétation consiste donc à dire que ANG est en déficit dans les tâches où les stimuli rendent possibles de nombreuses options de réponses verbales. Ainsi, ces réponses potentielles entrent en compétition, et s’inhiberaient mutuellement. Le conflit ne pourrait être résolu que par un système exécutif de contrôle, ou module contextuel, dont le rôle serait de sélectionner une réponse de façon à la rendre dominante. Ce serait ce module qui serait altéré chez ANG et ceci le conduirait à être incapable de sélectionner une réponse lorsque plusieurs entrent en compétition.

Les auteurs spéculent aussi sur le fait que le cortex préfrontal gauche, et en particulier l’aire 45 de Brodmann, serait impliquée dans ce processus de contrôle.

4.2. Wilshire et McCarthy (2002)

Remarques :
– Cet article a déjà été présenté sur pontt : ICI.

– On lira aussi avec intérêt l’article de McCarthy & Kartsounis (2000).

Wilshire et McCarthy abordent la question sous un autre angle. En effet, elles ne cherchent pas à différencier un trouble de la conceptualisation ou de la planification pré-linguistique d’un trouble de la sélection lexicale. Elles adoptent d’emblée la seconde hypothèse et tentent, au moyen d’épreuves spécifiques, d’en préciser le fonctionnement.
Cette étude nous a paru suffisamment intéressante pour la présenter ici. On ne peut cependant que regretter que des épreuves similaires à celles utilisées par Costello et al. et par Robinson et al. n’aient pas été proposées.

Les auteurs commencent par rappeler certaines observations qui conduisent à différencier différents sous-types de troubles d’accès au lexique:
– l’anomie sémantique concerne les patients qui ont essentiellement des difficultés sémantiques (paraphasies sémantiques et troubles de la compréhension lexicale). Le déficit est lié à l’accès à une représentation sémantique détaillée des concepts, cette étape pouvant être considérée comme un pré-requis au recouvrement des mots.
– l’anomie « de sortie » (output anomia) concerne les patients qui ont des difficultés à accéder aux représentations lexico-phonologiques de sortie (en dénomination, les erreurs sont sémantiques, phonologiques, faites de circonlocutions…) sans trouble flagrant de la compréhension lexicale. Le déficit n’est pas lié à la composante lexico-sémantique mais bien à la composante lexico-phonologique, c’est-à-dire au recouvrement d’une représentation qui spécifie les caractéristiques lexicales et phonologiques des mots à produire.

Deux sous-types d’anomies de sortie (lexico-phonologique) peuvent être distingués.
Certains patients ont des difficultés « lexicales » : ils n’arrivent pas à localiser une représentation lexicale précise (un « lemme » qui ne spécifie pas la forme phonologique mais bien l’identité lexicale et peut-être aussi les propriétés grammaticales du mot cible) pour exprimer un concept (une représentation sémantique). Ils produisent de nombreuses substitutions sémantiques, des omissions et des circonlocutions. Par contre, la répétition de mots est relativement bien préservée.
D’autres ont des difficultés « phonologiques » et sont incapables d’accéder à l’identité phonologique complète (ils ne peuvent pas convertir le lemme en une représentation phonologique complète). Ils produisent beaucoup de paraphasies phonémiques et la répétition est altérée.

Ces trois niveaux de représentations stockées (sémantique, lexical et phonologique) semblent donc pouvoir être inaccessibles ou indisponibles indépendamment. Notons que je ne discute pas ici la pertinence du modèle théorique adopté.

La question se pose alors de savoir si l’on peut rendre compte de tous les manques du mot en ne considérant que les altérations à ces trois niveaux du « lexique mental ».

Les auteurs de l’article rappellent les résultats de diverses études. Certains aphasiques parviennent mieux à dénommer (surtout avec un profil d’aphasie de Broca) des images isolées qu’ils n’accèdent aux mêmes mots dans une tâche de description de scènes. Tandis que d’autres (surtout Wernicke) présentent un pattern inverse. L’anomie des aphasiques est donc influencée par des mécanismes sans rapport avec les représentations lexicales elles-mêmes.
Un anomique de sortie a été décrit comme étant nettement meilleur lorsque les images à dénommer sont accompagnées d’une phrase à compléter. On aurait pu penser que cet effet contextuel ne correspondait qu’à un effet d’amorçage (priming) purement lexical (quand la phrase « il envoie une lettre sans … » est présentée, l’effet de facilitation sur l’accès au mot « timbre » ne serait alors dû qu’à la présence du mot amorce « lettre »). Cependant cette hypothèse ne se vérifie pas puisque les facilitations sont moindres lorsque seule l’amorce (dans ce cas le mot « lettre » avant la dénomination de l’image du timbre) est présentée.
D’autres patients, surtout avec lésions antérieures gauches, n’ont que peu de manques du mot en dénomination d’images mais éprouvent des difficultés dans des conditions spécifiques (fluence verbale suscitée en catégorie sémantique ou en catégorie formelle – première lettre).
D’autres encore (aussi avec lésions antérieures gauches) éprouvent des difficultés spécifiques à produire un verbe en réponse à un nom uniquement lorsque celui-ci n’est pas fortement associé à une réponse unique (ex : ciseaux > couper) mais, au contraire, évoque plusieurs alternatives (ex : corde).

Tous ces exemples suggèrent que, dans certains cas, les difficultés d’accès aux mots ne peuvent être interprétées sans considérer l’influence de facteurs externes au lexique.

Les auteurs présentent un patient aphasique, BM, hémiplégique droit et non fluent (aphasie transcorticale motrice : il parle peu, avec des phrases courtes, des erreurs sémantiques et, plus occasionnellement, quelques erreurs phonologiques sur les mots longs ; son langage n’est pas agrammatique). Il n’y a pas de trouble articulatoire. L’AVC est ancien (7 ans). Les tests indiquent une bonne compréhension lexicale et syntaxique sauf pour les énoncés réversibles. La production de mots isolés est assez bien préservée en dénomination (léger effet de la fréquence des mots et de leur longueur, lequel est du aux erreurs phonologiques sur les mots longs. Pour le reste, les erreurs sont essentiellement des paraphasies sémantiques et on note un net effet du degré d’imageabilité des mots au détriment des mots abstraits et une forte inconstance d’accès aux mots. La répétition de mots et de logatomes est bonne. Il est en échec dans les tâches de fluence verbale avec critère catégoriel. Sa lecture est caractéristique d’une dyslexie profonde.

L’expérience 1 est destinée à vérifier l’existence d’éventuels effets de la vitesse de présentation des images à dénommer et de la proximité sémantique de celles-ci.
36 images (6 dans chacune des 6 catégories sémantiques), correctement dénommées au préalable par le patient en présentation lente et sans les avoir groupées par lots catégoriels, ont été sélectionnées. Six lots « A » de six items liés par la catégorie (six fruits par exemple) et six lots « B » de six items non liés (une image de chacune des catégories) ont alors été créés.
Les lots images étaient présentés sur l’écran d’un ordinateur, tout d’abord au rythme du patient puis, cinq fois de suite, à une vitesse prédéterminée (lente pour les deux premières séances d’examen : toutes les 3 sec., et rapide pour les deux séances suivantes : toutes les 2 sec.).
Les erreurs étaient classées comme des substitutions contextuelles (productions d’un autre mot du lot cible, des persévérations), des substitutions non contextuelles (productions d’un mot non présent dans le lot), des erreurs phonologiques, des omissions ou encore des erreurs inclassables.
Les résultats montrent un effet principal de la vitesse de présentation (plus d’erreurs en condition de présentation rapide), un effet majeur de la proximité sémantique (plus d’erreurs pour les lots A) et une interaction significative des deux facteurs principaux puisque l’effet de proximité sémantique n’est significatif que dans la condition de présentation rapide.
La majorité des erreurs sont des substitutions contextuelles et leur nombre est significativement affecté par les deux variables principales : la proximité sémantique des items dans un lot en augmente le nombre et, dans une moindre mesure, la vitesse de présentation a un effet similaire. Quant aux substitutions non contextuelles, elles sont beaucoup moins nombreuses que les substitutions contextuelles et significativement plus nombreuses pour les lots B que pour les lots A. La même tendance (inverse de celle enregistrée pour les substitutions contextuelles) est observée pour les erreurs phonologiques, et les omissions n’apparaissent, pour ce patient, que lorsqu’un seuil de difficulté est atteint, à savoir en présentation rapide d’images de la même catégorie.

Les auteurs interprètent ces résultats comme démontrant, chez BM, l’influence de facteurs contextuels externes aux représentations lexicales des mots cibles.

L’expérience 2 a pour objet de voir si cette sensibilité contextuelle du déficit des traitements lexicaux se manifeste aussi dans une autre tâche lexicale qui, elle, ne requiert pas la production de mots. Il s’agit d’une tâche de décision (vrai/faux ou même/différent) quant à l’adéquation d’un mot pour une image. Sans entrer dans les détails de cette expérience, seul un effet de la vitesse de présentation est enregistré (pas de la proximité sémantique), et laisse penser qu’il pourrait exister un déficit sémantique mineur.
L’effet de la présentation des items de la même catégorie en blocs a donc un effet uniquement dans une tâche de production, mais pas dans une tâche de  compréhension.

Enfin, l’expérience 3 permet de répliquer les résultats de l’expérience avec des stimuli différents. Un autre patient, IG, aphasique amnésique sans trouble, ni de la compréhension ni de la répétition et qui produit en majorité des erreurs sémantiques, est soumis à la même expérimentation et ne présente pas du tout la même sensibilité que BM aux manipulations proposées. Le pattern de performance présenté par BM n’est donc pas une caractéristique générale de tout trouble d’accès au lexique puisque ses performances reflétent bien quelque chose de spécifique quant à la nature du déficit cognitif sous-jacent.
Par ailleurs, dans une tâche de récitation des mots (un mot par seconde au métronome) dans un ordre toujours identique et donc prévisible, BM commet beaucoup moins d’erreurs que dans la première tâche et sa sensibilité à la proximité sémantique des mots est nettement moindre. IG, quant à lui, ne présente pas une telle amélioration dans la tâche de récitation. Les auteurs interprètent cela comme témoignant du fait que BM peut faire usage d’indices syntagmatiques (l’ordre des mots comme dans une phrase) pour accroître l’efficacité des mécanismes de recouvrement des mots par le sens (les traits sémantiques sont plus facilement activés). Ceci exclut aussi la possibilité que les résultats à l’expérience 1 soient dus à une simple inertie articulatoire.

Dans le cadre du modèle en trois étapes présenté en introduction, IG et BM peuvent être considérés comme présentant un déficit essentiel au niveau de l’accès aux représentations lexicales appelées « lemmes ». Dans le cas de BM, il semble que l’accès aux représentations sémantiques et phonologiques soit également légèrement déficitaire. Cependant cette interprétation ne permet pas de rendre compte à elle seule du fait que le manque du mot de BM soit aussi sensible à des facteurs contextuels externes aux représentations lexicales. De même, si l’accès à la sémantique est aussi largement préservé chez ce patient, pourquoi des variables sémantiques ont-elles un effet aussi marqué sur ses performances ?
Et enfin, l’interprétation ne permet pas de rendre compte du profil non fluent de son aphasie.

Wilshire et McCarthy suggèrent dès lors une interprétation qui ne repose pas sur le lexique lui-même mais sur les processus qui contrôlent ou modulent l’activité au sein du système lexical.
Faisant référence à d’autres auteurs et à d’autres modèles (voir plus haut), ils distinguent deux mécanismes impliqués dans la production  du langage. Le premier concerne la diffusion d’une activation relativement automatique et non contrôlée des hauts niveaux aux bas niveaux de représentation. Cette diffusion se fait sur base des interconnexions entre les nœuds et sur base des poids respectifs de celles-ci au sein d’un réseau lexical. Le second concerne un processus (ou des processus) contrôlé qui sélectionne, à chaque niveau de description, la représentation la plus activée qui est en accord avec des critères syntaxiques, structuraux ou spécifiques à la tâche proposée. Ce mécanisme assure que ce soit cette représentation et elle seule qui aboutisse. Et ce tant d’un point de vue syntagmatique (les « compétiteurs » sont les items activés pour d’autres positions dans la phrase, le mot correct est sélectionné pour une position donnée) que sémantique ou paradigmatique (les « compétiteurs » sont ceux qui partagent des traits visuels et/ou sémantiques avec la cible à sélectionner).
Cette procédure de sélection se ferait sur base des informations contextuelles et/ou pragmatiques disponibles.

Dans ce cadre, les auteurs montrent, sur base des résultats aux expérimentations précédentes, que les performances de BM sont beaucoup plus affectées par la compétition paradigmatique que syntagmatique. BM serait donc capable de construire un cadre (frame) syntaxique et il pourrait utiliser celui-ci pour contraindre la sélection lexicale à chaque position. A l’inverse, il ne pourrait opérer de sélection appropriée lorsque plusieurs représentations sémantiques avec un même seuil d’activation sont simultanément fortement activées. Parmi les mécanismes d’activation contrôlée, seul celui qui concerne les compétitions paradigmatiques serait déficient. C’est effectivement lorsque de nombreux compétiteurs paradigmatiques (sémantiquement reliés) sont activés avant la présentation de la cible que les performances de BM chutent. Et ses erreurs (substitutions) témoignent de cette difficulté. L’effet de l’imageabilité des mots observé chez BM pourrait aussi être interprété car les mots abstraits ont plus de synonymes ou de quasi synonymes que les mots concrets. Une vitesse élevée de présentation des items est aussi un facteur de détérioration puisque les mots précédemment émis ont plus de chance d’être encore des compétiteurs actifs au moment de la sélection lexicale. De plus, la brièveté des intervalles réduit les possibilités de mettre en branle les mécanismes de contrôle.

Une objection à cette interprétation est qu’il n’y a pas de raison de penser que ces mécanismes d’activation contrôlée n’opèrent qu’au niveau du recouvrement des unités lexicales (lemmes). Or BM est bien, de façon disproportionnée, déficitaire à ce niveau. Les auteurs proposent donc que l’étape de recouvrement des unités lexicales offre plus d’opportunité à la compétition paradigmatique que les autres niveaux. Ainsi, dans une tâche d’appariement mot/image, l’activation serait plus concentrée au niveau sémantique et la sélection des informations phonologiques serait quant à elle plus sensible à des contraintes structurelles et séquentielles (la position des différents phonèmes).

L’interprétation suppose cependant que d’autres patients, plus atteints que BM, pourraient éprouver des difficultés à tous les niveaux. Certains aphasiques globaux ont ainsi été décrits comme démontrant des effets de sensibilité contextuelle similaires dans des tâches d’appariement mot/image.

Enfin, les auteurs argumentent en faveur d’une localisation cérébrale antérieure des mécanismes de sélection lexicale (par opposition au recouvrement lui-même). Ils postulent aussi que cette interprétation pourrait rendre compte, chez certains patients, d’une plus grande difficulté en langage élaboré qu’en dénomination (planification pré-verbale contrôlée et permise par le lobe frontal).

4.3. Schwartz et Hodgson (2002)

Les auteurs présentent l’étude d’un patient, MP, victime deux ans avant l’étude d’une hémorragie de la partie dorso-latérale du lobe frontal gauche. MP présentait une aphasie non fluente modérément sévère avec une légère apraxie verbale. Les traitements phonologiques d’entrée étaient préservés, la compréhension et la répétition de mots isolés étaient bonnes. La dénomination était modérément altérée par un déficit à la fois d’accès aux unités lexicales et aux représentations phonologiques. En lecture, il utilisait la voie lexicale et, sans doute, dans une moindre mesure, des liens directs entre le lexique orthographique d’entrée et le lexique phonologique de sortie. En effet, la voie d’assemblage était fortement altérée mais, comme sa lecture des mots était meilleure que la dénomination, il fallait en conclure qu’il utilisait une voie de lecture non sémantique en plus de la voie d’adressage par le système sémantique. MP présentait aussi un trouble sévère de la mémoire auditivo-verbale à court terme.

L’étude de Schwartz et Hodgson est motivée par le fait que MP avait de meilleurs résultats dans des tâches classiques de dénomination que lorsque l’accès aux mots devait avoir lieu en langage spontané et discursif.

Dans un premier temps, les auteurs tentent de démontrer que le problème de MP n’est pas le même que celui de BM. Ses performances sont affectées par la vitesse de présentation des items à dénommer mais pas par le fait de la proximité sémantique des items. Et cela dans une tâche similaire à celle proposée par Wilshire et McCarthy (du moins en termes d’exactitude des réponses, les auteurs n’ayant pas enregistré les temps de latence des réponses) et dans une tâche comparant la dénomination des mêmes images lors de la description de scènes composées d’items sémantiquement reliés ou d’items non sémantiquement reliés. Par contre, MP dénomme beaucoup mieux, à son propre rythme, les images isolées de ces scènes que lorsqu’il doit décrire ces scènes.

Dans une série d’autres expériences, Schwartz et Hodgson vont montrer que MP est mis en échec lorsqu’il doit dénommer (de gauche à droite) des séries de deux ou trois images (qu’il dénomme correctement lorsqu’elles sont présentées isolément) disposées linéairement devant lui. Dans ce cas, on ne peut pas attribuer le déficit à la nécessité de construire une structure syntaxique (comme c’est le cas en description de scènes complexes). Les performances de MP en dénomination chutent donc fortement lorsqu’il doit dénommer deux images successives et cela même s’il n’y a pas de contraintes syntaxiques.

Enfin, les auteurs vont créer une tâche qui, non seulement évite les contraintes syntaxiques, mais qui minimise aussi les exigences du point de vue de la mémoire à court terme. Dans cette épreuve, MP ne doit dénommer qu’une image mais il doit, dans certaines conditions, « se préparer » à en dénommer deux.
Des paires d’images sont présentées et un indice indique laquelle des deux doit être dénommée. Cet indice peut apparaître avant les images (-1500, -1000 ou -500 msec), en même temps ou après (0, +500, +1000 ou +1500 msec). Les prédictions sont évidemment que dans les conditions de pré-indiçage, MP n’aurait pas de problèmes particuliers. Dans les autres conditions, on fait au contraire l’hypothèse que MP va préparer les deux mots avant que l’indice ne soit fourni et que ceci créera une interférence similaire à celle observée dans les expériences précédentes. Les auteurs ont pris la peine de faire varier les paires d’images en fonction de leurs proximités sémantiques et/ou phonologiques. Cette manipulation conduira à montrer qu’il n’y a aucun effet de la proximité sémantique sur les performances de MP. Par contre, les paires phonologiquement reliées donnent des résultats meilleurs que les paires non phonologiquement reliées. Cette différence n’est cependant pas statistiquement significative.
Pour le reste, les prédictions sont globalement confirmées.
L’interférence apparaît déjà dans la condition où l’indice est fourni à +500 msec et elle se maintient à + 1500 msec.

A partir de ces observations, les auteurs concluent que, pour MP, la préparation de deux mots interfère avec les processus de recouvrement des formes phonologiques des mots. Contrairement aux cas décrits par McCarthy et Kartsounis (2000) et par Wilshire et McCarthy (2002), les effets de contexte ne seraient pas, chez MP, liés à l’accès aux représentations lexicales non phonologiques mais bien aux représentations phonologiques elles-mêmes. La co-activation de deux unités lexicales interfère avec le recouvrement des deux représentations phonologiques correspondantes. La représentation conceptuelle de l’énoncé à produire activerait plusieurs unités lexicales avant que le cadre syntaxique ne puisse leur assigner un ordre. L’activation se propageant en cascade des unités lexicales aux représentations phonologiques, il y aurait une interférence à ce dernier niveau. Cette interférence serait normalement levée par le cadre syntaxique qui sélectionne la bonne unité lexicale. Mais si ce mécanisme ne fonctionne pas correctement, alors se crée une interférence entre les représentations phonologiques des mots ciblés pour un énoncé.

Notons encore que d’autres auteurs (voir Freedman, Martin et Biegler, 2004) ont interprété tous ces résultats, non comme témoignant d’effets d’interférence au niveau de l’accès à des représentations, mais comme témoignant d’altérations des capacités de l’un ou l’autres des buffers (mémoires-tampons), l’un étant chargé des représentations phonologiques d’entrée (le buffer phonologique d’entrée), un autre des représentations phonologiques de sortie (le buffer phonologique de sortie) et un troisième étant chargé de maintenir les représentations lexico-sémantiques. Ces auteurs attribuent les effets de contexte en production à l’altération sélective de l’un de ces buffers (problèmes de rétention d’informations) et non à un problème de sélection entre représentations lexicales en compétition ou à un problème syntaxique. Quoiqu’il en soit, on notera avec Freedman et al. (2004) que tous ces patients ont des lésions frontales qui laissent supposer des déficits au niveau des procédures de contrôle. Il y aurait donc un ou des mécanismes frontaux spécifiquement impliqués dans la sélection lexicale lors de la production de mots dans le contexte d’autres mots (compétition lexicale).

Références :

Freedman, M., Martin, R., & Biegler, K. (2004). Semantic relatedness effects in conjoined noun phrase production: implications for the role of short-term memory. Cognitive Neuropsychology, 21, 245-265.

McCarthy, R.A., & Kartsounis, L.D. (2000). Wobbly words: Refractory anomia with preserved semantics. Neurocase, 6, 487-487.

Robinson, G., Blair, J., & Cipolotti, L. (1998). Dynamic aphasia: an inability to select between competing verbal responses? Brain, 121, 77-89.

Schwartz, M.F., & Hodgson, C. (2002). A new multiword naming deficit: evidence and interpretation. Cognitive Neuropsychology, 19, 263-287.

Wilshire, C.F., & McCarthy, R.A. (2002). Evidence for a context-sensitive word retrieval disorder in a case of nonfluent aphasia. Cognitive Neuropsychology, 19, 165-186.

 

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