Aphasie chez les polyglottes 2

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1. Introduction

Dans cette introduction, je vais tout d’abord présenter les raisons qui m’ont poussée à choisir ce thème. Puis, j’expliquerai quelques notions concernant l’organisation des différentes langues chez les bilingues et polyglottes. Enfin, je présenterai une patiente, Madame HH., à laquelle je ferai référence tout au long de ce travail, ce qui me permettra de faire des liens entre ce que j’ai appris au cours de mes lectures et ce que j’ai pu observer au cours de mon stage.

1.1. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Lors de mon stage, j’ai été confrontée au cas d’une aphasique bilingue. Je me suis alors rendue compte que ce sujet n’avait pas vraiment été traité lors de notre formation. J’ai donc voulu me renseigner sur les possibilités d’évaluation de ces aphasiques bilingues ou polyglottes, sur les processus de récupération des langues, ainsi que sur les variables qui influencent cette récupération. J’ai aussi voulu savoir ce qui était préconisé au niveau de la rééducation, s’il fallait travailler les langues simultanément ou une à la fois, et dans ce cas, quelle langue choisir…

J’ai donc réalisé une revue de littérature afin de tenter de répondre à ces différentes questions. De plus, j’illustrerai ces différents points grâce à ce que j’ai pu observer et réaliser avec madame HH., une patiente bilingue aphasique.

Les études portant sur l’aphasie chez les bilingues et polyglottes

Tout d’abord, je vais commencer en formulant une remarque par rapport aux études portant sur ce thème. Ensuite, je m’attarderai un peu sur l’organisation des langues au niveau cognitif puisque cela va avoir des conséquences sur l’interprétation des déficits et sur la réalisation de la rééducation.

Une difficulté récurrente que l’on rencontre dans les études portant sur les polyglottes est l’hétérogénéité de leur population. D’une part, les variables qui s’appliquent aux monolingues s’appliquent aussi chez eux (ex. : âge lors de lésion, localisation de la lésion…), et d’autre part, on doit leur ajouter toutes les variables qui  sont spécifiques aux polyglottes (différence dans la maîtrise des deux langues, différences dans les contextes d’apprentissage, différences dans la structure des deux langues…). Cela implique que la comparaison des différents patients est une tâche encore plus ardue que chez les monolingues et qu’il est donc encore plus difficile de montrer ou de neutraliser l’influence de certaines variables sur les déficits langagiers ou leurs récupérations

En ce qui concerne l’organisation du système cognitif des bilingues, il est généralement admis qu’un bilingue n’est pas à considérer comme deux monolingues en une seule personne. Ses compétences dans chaque langue sont différentes (Grosjean, 1989).

Pour Gollan et Kroll (2001), au niveau des modèles cognitifs s’intéressant à la représentation des différentes langues, les résultats des différentes études vont de plus en plus dans le sens de l’existence de lexiques indépendants pour les différentes langues et d’un  système sémantique commun à ces différentes langues. L’accès à ces lexiques ne se ferait pas de manière sélective, c’est-à-dire qu’un même input activerait à la fois les deux lexiques. On pourrait cependant émettre des doutes quant à l’unicité du système sémantique, étant donné que les traductions ne recouvrent pas toujours exactement les mêmes concepts, et ce surtout pour les mots abstraits. Cependant, comme Gollan et Kroll conçoivent le système sémantique comme composé de traits sémantiques, ils supposent qu’un mot d’une langue va activer des traits sémantiques qui sont extrêmement semblables, si pas totalement à ceux qui sont activés par la traduction de ce mot. Cette remarque prend toutefois toute son importance quand on parle de cooccurrence d’erreurs sémantiques au travers des langues.

En fait, la cooccurrence d’erreurs devrait être d’autant plus forte que les mots sont concrets. En effet, au plus un mot est concret, au plus celui-ci et sa traduction devraient activer les mêmes traits sémantiques, et donc, au plus il y aurait de risque que ces mots soient affectés de manière similaire en cas de lésion du système sémantique. Par contre, lorsqu’il s’agit de mots abstraits, ceux-ci et leur traduction n’activeraient pas exactement les mêmes traits et pourraient donc être touchés différemment lors d’une lésion du système sémantique. Par exemple, on peut traduire « gentil » en français par « aardig » en néerlandais. Cependant, ces deux mots recouvrent des concepts qui ne sont pas totalement semblables ainsi « gentil » peut signifier « aimable, sage », alors que « aardig » peut signifier « joli, gentil, assez grand, pas mal ».

Dans le cas de madame HH., la patiente bilingue, j’ai pu observer des erreurs sémantiques similaires dans les deux langues lors de la passation de l’épreuve de dénomination orale du LEXIS. Cependant, le matériel de dénomination était, par la force des choses, constitué de planches représentant des mots concrets et  imageables.  Donc, il est plus que probable que les traits sémantiques activés étaient les mêmes pour les deux langues.

Kroll et Stewart (1994) ont réalisé un modèle hiérarchique conceptualisant les relations entre ces systèmes. Il existerait des relations bi-directionnelles entre le lexique de la langue 1, le lexique de la langue 2 et le système sémantique. Ils considèrent aussi qu’il existe une hiérarchie dans la force des liens causée par l’histoire de l’apprentissage. Ainsi, le lien partant du lexique L2 vers le lexique L1 est plus fort, puisqu’on suppose que la personne a d’abord appris le vocabulaire de L1 par rapport au vocabulaire de L2. Le lien entre le lexique de L1 et le système sémantique est aussi plus fort.


Adapté de Kroll et Stewart (1994)

 

out ceci est évidemment important à savoir lorsqu’un patient bilingue se présente avec un trouble de langage. Les interprétations ne seraient évidemment pas les mêmes si on considérait par exemple qu’il n’existe pas de lien entre le lexique de L2 et le système sémantique ou si on considérait qu’il existe deux systèmes sémantiques.
Ce modèle nous suggère aussi qu’une même lésion peut avoir des conséquences différentes dans les deux langues étant donné la différence au niveau de la force des liens.

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