Fillingham et al., 2003

Titre: The application of errorless learning to aphasic disorders: A review of theory and practice.
Auteurs: Joanne K. Fillingham, Catherine Hodgson, Karen Sage, & Matthew A. Lambon Ralph
Revue: Neuropsychological Rehabilitation, 2003, 13 (3), 337-363

PREMIERE PARTIE

Les dernières années ont vu fleurir de nombreuses études qui témoignent de l’utilité de l’application de techniques d’apprentissage sans erreur (errorless, EL), et ce par opposition à des techniques classiques où l’apprentissage se fait par essais et erreurs, celles-ci étant même en quelque sorte encouragées avec l’idée sous-jacente que seul l’effort investi durant l’apprentissage est utile (errorful, EF).

 

L’apprentissage EL évite au sujet de renforcer ses propres erreurs. Le fait de produire une erreur pour un stimulus augmenterait la force de l’association entre ce stimulus et la réponse fournie. Et l’erreur serait donc d’autant plus probable qu’elle a été produite auparavant.

 

Le principe général de l’apprentissage EL consiste à manipuler la tâche (commencer par des exercices extrêmement simples, fournir des indices suffisants ou même la réponse correcte) de sorte que les erreurs soient éliminées. Au fur et à mesure, la tâche sera complexifiée ou les indices seront estompés (de sorte à rendre la tâche moins artificielle et de façon à introduire la notion d’effort, même s’il n’est pas démontré que celui-ci soit indispensable) au risque de voir apparaître la production d’erreurs.

 

La plupart des apprentissages réalisés ne sont donc pas strictement sans erreur mais les possibilités d’erreurs sont réduites au maximum et, idéalement, éliminées des premières phases d’apprentissage.

 

Les apprentissages EL se sont révélés être plus efficaces que les apprentissages EF dans de nombreux domaines, des tâches diverses et avec une variété de populations (autistes, schizophrènes, amnésiques, dyspraxiques, sportifs de haut niveau, …).

 

Baddeley et Wilson font reposer ces effets sur l’idée d’une dissociation entre mémoire explicite ou épisodique (laquelle est ouverte aux processus conscients de filtrage des informations) et mémoire implicite (laquelle est hors d’atteinte de la conscience et ne peut être manipulée de manière délibérée ce qui la rend particulièrement sensible aux interférences et aux erreurs).
Or,justement, ce dont souffrent les amnésiques c’est d’un trouble de la mémoire explicite. Un apprentissage sans erreur leur serait donc bénéfique car il ne fait pas appel à la mémoire explicite et aux mécanismes de filtrage. Un raisonnement similaire est invoqué pour rendre compte de l’efficacité de l’apprentissage EL chez des patients schizophrènes qui ne distinguent pas leurs tentatives de réponse des réponses correctes fournies par l’expérimentateur.

 

Notez que cette idée ne permet sans doute pas de tout expliquer et que l’apprentissage sans erreur pourrait faire appel à la mémoire explicite également.

 

D’un autre point de vue, celui des neurones et des synapses (le substrat de tout apprentissage), si deux neurones sont activés simultanément, la force de leur association en sera accrue. Selon les lois de l’apprentissage de Hebb, l’apprentissage augmente la probabilité de fournir la même réponse (extrant ou output) à la présentation d’un stimulus (intrant ou input), et ce que cette réponse ait été correcte ou incorrecte. Selon cette optique, un apprentissage sans erreur ne peut qu’être bénéfique.

 

Cependant, l’apprentissage Hebbien seul (tel que présenté ici) ne laisse pas de place à ces processus qui filtrent ou inhibent l’influence des réponses erronées, mécanismes déficitaires chez les amnésiques et les schizophrènes.

 

Par ailleurs, il semble bien démontré que l’apprentissage sans erreur n’est pas que bénéfique aux personnes souffrant de troubles mnésiques. Les auteurs détaillent les études réalisées auprès de Japonais afin de leur permettre de distinguer les liquides anglaises /l/ et /r/. Seul un apprentissage sans erreur (partant de phonèmes /l/ et /r/ fortement exagérés pour se rapprocher progressivement des phonèmes anglais normaux). Cependant un apprentissage EF est aussi efficace si des feedbacks sont fournis, les sujets pouvant les utiliser et contrôler ainsi les problèmes inhérents à ce type d’apprentissage.

 

Afin de rendre compte de toutes ces observations, les auteurs proposent l’idée selon laquelle les représentations cognitives sont essentiellement le résultat d’un apprentissage Hebbien. Ce type d’apprentissage permet d’expliquer que l’on puisse apprendre sans feedback. Mais à ce mode d’apprentissage s’ajoutent des processus cognitifs mnésiques, attentionnels et exécutifs impliqués dans la modulation par feedback de l’apprentissage Hebbien. En d’autres termes, ces mécanismes pourraient inhiber le processus Hebbien de sorte que, en cas d’erreur mentionnée comme telle, l’apprentissage n’aurait pas lieu pour cet essai. Les erreurs pourraient dès lors ne pas être renforcées.

Lorsque ces mécanismes sont déficitaires (Et ceci peut arriver pour plusieurs raisons. Ainsi certains aphasiques ne peuvent dire si leur réponse est correcte ou non), la seule possibilité est d’apprendre par une procédure sans erreur (Hebbienne). Par ailleurs il se pourrait que certains types d’apprentissages, comme par exemple des apprentissages moteurs complexes, ne sont effectués que sur une base Hebbienne.

SECONDE PARTIE

Les études menées auprès de patients amnésiques suggèrent que l’apprentissage sans erreur pourrait être une technique à utiliser lors du traitement de l’anomie aphasique et, peut-être, pour d’autres troubles aphasiques. Ainsi, Morris et coll. (Aphasiology, 1996, 10, 137-158) ont obtenu des résultats avec un patient atteint de surdité verbale en utilisant des techniques similaires à celles mentionnées ci-dessus pour les différenciations phonémiques des Japonais.

 

Or il n’y a actuellement aucune étude qui ait adressé cette question de façon directe. Cependant les auteurs répertorient un certain nombre de travaux qui, durant les 20 dernières années, ont été menés afin de remédier à des troubles anomiques. Sans entrer dans les détails des procédures de sélection des études et des résultats, il apparaît qu’un tiers (29/92) de ces recherches ont fait appel à des techniques de réduction des erreurs Seules deux études étaient à proprement sans erreur.

 

Globalement, il en ressort que les deux modes de thérapie (EL et EF) ont un taux de succès comparable. Cependant, ce que l’on peut attendre, dans le futur, ce sont des études de cas uniques qui comparent les deux approches. Il sera essentiel de voir si les résultats d’une approche ou de l’autre sont liés à certains patterns de déficits langagiers et cognitifs (mnésiques et attentionnels ou exécutifs).

 
– Voir aussi:

http://www.hop.man.ac.uk/bns/posterabstractsoct02.doc
« Errorless learning and its possible use in treating anomia. J.K. Fillingham et al. »
Cet abstract d’un poster présenté en 2002 indique qu’une technique d’apprentissage sans erreur ne fonctionne pas, dans le traitement de l’anomie, avec tous les patients aphasiques.

http://www.bas.org.uk/fillingham.ppt
« The treatment of anomia using errorless learning, by J.K. Fillingham et al. »
Cette présentation ppt expose succinctement une étude réalisée auprès de 11 aphasiques anomiques. Trois d’entre eux ne bénéficient d’aucun traitement, sept bénéficient dans une même mesure d’une thérapie errortful (EF) et d’une thérapie errorless (EL). Enfin, un patient bénéficie plus de la rééducation EF que de la rééducation EL. Tous les patients apprécient cependant plus la thérapie EL que la thérapie EF. Et il semble bien que seuls les patients qui présentent peu ou pas de troubles attentionnels et mnésiques ont plus de chances de bénéficier d’un traitement EF. Il reste à voir si la stratégie EL utilisée ici (sans estompage, si je comprends bien) est la bonne. En effet, la question demeure de savoir si une thérapie EL ne peut aboutir à un résultat meilleur à une thérapie EF que si elle est aussi EFFORTful.

http://www.vard.org/va/02/htm/rrds_feb_2002_conflilly1.htm
Maher, L.M. et al. « An errorless learning approach to sentence generation in aphasia. »
Peut-être la première tentative d’appliquer une thérapie EL à un trouble aphasique autre que le manque du mot (en dehors du travail de Morris et coll.). Les résultats présentés ici sont cependanttrop peu détaillés pour pouvoir nous orienter. Attendons une éventuelle publication.

– Si vous travaillez avec des personnes autistes et que l’approche comportementaliste (ABA : Applied Behavior Analysis), laquelle est naturellement en faveur des techniques d’apprentissage sans erreur,
vous intéresse, je vous invite à visiter le site suivant :
http://www.christinaburkaba.com/index.htm
Et en particulier la page :
http://www.christinaburkaba.com/ELvsNNP.htm
« Errorless learning and no-no-prompting »

Le site de Christina Burk fait partie d’un anneau de sites sur
l’autisme (58 sites).

Il est aussi lié au Cambridge Center for Behavioral Studies :
http://www.behavior.org/

– Sur le net, vous trouverez aussi :
http://www.braininjuryresearch.org/newsletter/Spring2003.pdf
« Using errorless learning to help children with traumatic brain injury learn, by Julie Landis. »

http://www.biawa.org/pax/cogcompensation/Errorless%20Learning.doc
« Errorless Learning for People with Memory Problems, by Tedd Judd »

http://www.shef.ac.uk/psychology/publications/2000/andrade00f.html
(abstract)
« Evans J.J. et al. A comparison of ‘errorless’ and ‘trial and error’ learning methods for teaching individuals with acquired. memory disorders. Neuropsychological Rehabilitation, 10(1), 67-101. »
http://www.bps.org.uk/publications/thepsychologist%5Cmay02wilson.pdf
« Barbara Wilson (2002). Rehabilitation without error. »
Interview, pour la revue « The Psychologist » de Barbara Wilson, la première à avoir démontré l’utilité de l’apprentissage sans erreur avec les patients amnésiques.


http://www.down-syndrome.org/reports/30/
« The stability and transferability of errorless learning in children with Down syndrome, by L.A. Duffy & J.G. Wishart »

De nombreux abstracts sur l’apprentissage sans erreur avec des personnes schizophrènes : ICI
http://rehabrobotics.org/icorr1999/attendees/papers/connor.pdf
« Cognitive rehabilitation using rehabilitation robotics, by B.B. Connor et al. »

Et, sans doute, d’autres encore…

http://www.psypress.co.uk
http://www.tandf.co.uk/journals/pp/09602011.html

 

 

Une réponse à “Fillingham et al., 2003”

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